Après une panne de secteur, une collaboration avec Charlotte Gainsbourg et un détour par l’electro, le prodige irlandais Conor O’Brien a retrouvé la lumière. Un halo magique éclaire les chansons complexes d’Awayland, le deuxième album de ses Villagers.
S’être retrouvé coincé entre Jimmy Page et Elton John. Voilà l’un des souvenirs cocasses que Conor O’Brien, le résident unique de Villagers, conserve précieusement sous sa coupe au bol d’une première campagne qui l’aura vu passer du statut d’illustre inconnu à celui de prodige de la pop ultrasensible. Son format XXS, son regard d’ado éberlué et ses airs de geek autiste, épaules tombantes et pull montagnard informe, ne l’ont nullement handicapé lorsqu’il aura fallu donner le change à quelques vieilles rombières du rock d’avant sa naissance. La cérémonie avait lieu au mois de mai 2011 et on lui remettait l’un des prix les plus courus outre-Manche, un Ivor Novello Award de la meilleure chanson, musique et texte, pour Becoming a Jackal.
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Sans être pour autant devenu “un chacal” de l’industrie musicale, l’Irlandais Conor émargeait de fait le livre d’or du songwriting britannique, la moindre des choses pour un garçon ayant consigné autant de merveilles dans un premier album, à commencer par I Saw the Dead ou The Meaning of the Ritual pour lesquelles d’autres, bien plus chevronnés, auraient échangé un empire. Mais voilà, même les plus doués, ceux qui ont touché du doigt la stratosphère de l’écriture pop et furent reconnus comme tels, ne sont pas à l’abri d’une panne. Au sortir d’une longue tournée, Conor fut bloqué net devant l’obstacle : “Plus rien de satisfaisant ne sortait, j’étais littéralement rincé, artistiquement à sec.” L’état de grâce ne se décrète pas et tout le monde n’est pas Neil Hannon, autre crevette irlandaise de la génération précédente qui mit bien plus longtemps à se retrouver en carafe.
Alors O’Brien s’est inventé un substitut, est allé voir ailleurs en attendant que la lumière revienne. “J’ai beaucoup écouté de techno, des trucs originels de Detroit, pas mal de Plastikman, certaines musiques très abstraites, à l’opposé de moi mais pour lesquelles j’ai toujours eu une attirance. J’ai grandi en écoutant Massive Attack et Portishead, c’était la bande-son de mon adolescence, mais pour mon premier album j’étais surtout inspiré par les songwriters. C’était la grammaire que je maîtrisais le mieux. J’avais la main de Dylan sur une épaule et celle de Randy Newman sur l’autre. Je jouais de tous les instruments, je me suis donc limité à ce que je savais faire. Cette fois, je suis allé vers l’inconnu, j’ai travaillé d’abord sur des textures sonores, les chansons sont arrivées plus tard, en émergeant de ce grand bordel de sons et de rythmiques.” Désormais entouré d’un groupe, Conor a aussi voulu son deuxième album comme un chantier collectif et a parfois exigé sept versions d’un même morceau avant d’aboutir à la bonne combinaison.
My Lighthouse, petite folk-song opalescente qui ouvre Awayland, son deuxième album, témoigne du retour rapide des lueurs magiques qui ont fait sa marque. Le single The Waves et sa production alambiquée, avec montée en puissance et lourd chaos final, d’où émerge toutefois une mélodie virginale digne des premiers Prefab Sprout, est un bon indicateur du processus complexe de l’album. Nettement plus chargé que le précédent, Awayland flirte parfois avec le bastringue grandiloquent façon Waterboys (Nothing Arrived) et ose même s’aventurer du côté des musiques de films canailles des années 70 sur le faramineux The Bell. “Ce morceau est un peu un pastiche, tempère O’Brien. Mais je l’aime bien. J’ai voulu faire mon Lalo Schifrin, ma BO imaginaire où se croiseraient Jean-Claude Vannier, Curtis Mayfield et David Axelrod. J’aimerais beaucoup écrire des musiques de films, mais personne ne me l’a encore proposé.”
Un souhait qui pourrait vite être comblé si des réalisateurs avaient la bonne idée de se pencher sur {Awayland}, splendide intermède instrumental, ou tendre une oreille aux harmonies torrentielles de Grateful Song, saisir aussi le potentiel mélodramatique du très tendu et suave à la fois Passing a Message. À propos de message, celui d’Awayland est selon Conor O’Brien d’une grande limpidité : “Je voulais retrouver pour les textes une forme de virginité absolue. Écrire du point de vue d’un jeune enfant était ma seule obsession, et j’ai conçu la pochette dans la même perspective. Certaines idées sont nées au moment du tsunami au Japon et face à ces images effroyables, je me suis dit qu’il n’y avait plus de cynisme, plus de calcul possible. Le prochain album sera peut-être complètement sordide et arrogant, mais je voulais que celui-ci soit positif et lumineux.”
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