Depuis leurs lives survoltés remarqués cet été dans les grands festivals, Idles s’affirme comme un des grands espoirs du rock. Nous les avons rencontrés dans une piscine à Genève lors de leur passage au festival Antigel.
L’énergie anglo-saxonne des 70’s n’est pas morte. Il aura fallu cinq mecs aux chemises bien repassées pour la ressusciter dans des lives teigneux et surexcités. Au-delà de nous faire du bien, Idles est aussi un des groupes les plus intéressants du moment de la scène punk/rock. C’est après un premier album auto-produit, Brutalism, sorti en mars 2017, qu’ils se font remarquer cet été sur la route des grands festivals entre les Eurocks ou la Route du rock.
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Leurs lives portés par une rage animale ont marqué les esprits pour finalement s’offrir un Point Ephémère complet en décembre dernier à Paris. Après huit ans, le destin d’Idles semble prendre un autre tournant. Aujourd’hui signé sur le label Partisan (The Black Angels, Cigarettes After Sex…), ils ont déjà bouclé une seconde galette prometteuse qui sortira courant 2018.
Nous avons rencontré Joe Talbot le chanteur, et Mark Bowen le guitariste, à l’occasion de leur passage au festival Antigel. Un peu avant leur concert dans la piscine du Lignon à Genève, les deux musiciens nous sont apparus calmes, pour nous expliquer la genèse de leur musique et de Brutalism, entremêlant finement des propos intelligents entre ironie et colère. Trente minutes plus tard, ils se métamorphosaient et éructaient toute leur rage et leur frustration dans un live qui restera comme une immense claque pour le public suisse. Entretien.
Pourquoi avoir choisi d’appeler votre premier album Brutalism, en référence à l’architecture brutaliste ?
Joe Talbot – Nous sommes tous intéressés par les arts et l’architecture. Personnellement j’ai été particulièrement fasciné par l’architecture brutaliste, même si beaucoup de gens disent que c’est moche. La vue de grandes structures en béton m’a toujours semblé onirique. En tant qu’ascète, j’ai toujours voulu savoir ce qu’il y avait à l’intérieur. J’associais certains bâtiments aux rêves que j’avais quand j’étais enfant, comme dans le film Toys de Robin Williams. On ne parle pas du fait que les bâtiments sont très importants et déterminent les paysages sociologiques des villes. L’architecture brutaliste en Angleterre était une solution rapide pour l’après-guerre. Le pays a été brisé par la guerre, et a essayé de faire ces formes futuriste avec des matériaux vraiment bon marché en construisant des écoles et des hôpitaux rapidement. Je trouve qu’il y a une beauté derrière cela, c’est un sujet intéressant et une sorte de chagrin qu’on s’est infligé. Il peut y avoir de l’esthétique derrière ces formes, pour nous elles symbolisent les montagnes de chagrin suite aux décès de nos mères à tous les deux, une urgence et une rage à exprimer.
Comme ces bâtiments reconstruits dans l’urgence, il y avait quelque chose à reconstruire chez vous de façon cathartique avec cet album ?
Joe Talbot – Nous en avions besoin pour guérir et réparer, et nous devions le faire rapidement parce que nous sommes très impatients. L’album est arrivé rapidement, et nous l’avons fait à peu de frais. C’est moche par endroits mais, pour nous, c’était vital et beau. Et cette façon de libérer ce chagrin et d’exprimer une rage animale dans nos lives était un très bonne remède.
Mark Bowen – Tout ça va ensemble, c’était quelque chose de totémique et de cathartique, cet album ressemble à des monuments, comme dans les pierres tombales. Et il y a quelque chose qui s’estompe dans la musique. Prenons les choses au pied de la lettre, quand Joe lance l’idée de donner corps à un moment, je vois la construction de la musique de cette même façon singulière et inventive. La ligne de base d’une note quasiment unique et répétée est le béton, les percussions de Jon à la batterie donnent la forme et se répètent sans cesse… pour moi c’est cette idée d’une émotion, d’un chagrin, qui prendrait corps.
C’est pour cela qu’il y a une telle différence entre vos deux premiers Ep’s et cet album?
Joe Talbot – C’est très différent du premier, mais les sujets sont écrits un peu de la même façon. Je suis juste plus confiant et honnête dans mon écriture. Lorsqu’on apprend, on adopte le phrasé ou la façon dont jouent nos professeurs, c’est normal. Je pense qu’au moment où Brutalism est apparu, nous sommes devenus assez confiants et assez en colère pour ne plus avoir de doutes et ne plus penser à ce que nous faisions. On jouait juste. Après c’est surtout différent pour les auditeurs. Ça l’est parce que nous sommes différents, et notre musique va toujours évoluer avec nous. Nous n’allons pas essayer d’écrire de nouvelles choses, seulement ce qui est devant nous. On ne va pas chercher à être conceptuels, mais juste directs et honnêtes. Cela changera toujours parce que nous changeons toujours. Il s’agissait plutôt de “désapprendre” et de ne pas trop réfléchir, ce qui est un processus étrange. Nos premiers disques n’étaient pas malhonnêtes, c’était juste qu’on essayait un peu trop fort je pense. Pour moi, Brutalism marque le début de quelque chose. On peut entendre Brutalism résonner en moi.
Depuis vos passages remarqués cet été sur la route des festivals, vous semblez jouir d’une reconnaissance toute particulière. Pourtant, cela fait 8 ans que vous jouez ensemble. Cela a été difficile à certains moments?
Joe Talbot – Non, parce qu’on a de super boulots à côté et on travaille beaucoup, donc on a toujours été occupés.
Mark Bowen – On a toujours apprécié de jouer en live donc ça n’a jamais été une souffrance. Enregistrer un album, ça c’est plus compliqué. Mais notre relation avec le public et le live ont toujours été les mêmes. Ce qui change maintenant, c’est que pendant sept ans on jouait devant des petites foules, qui ne connaissaient pas notre musique. Et peut-être que si l’on nous voit pour la première fois sans nous connaître, on peut avoir peur de dire qu’on a apprécié, mais plutôt penser : “Putain, c’était quoi ce bordel ?”
Quels sont vos jobs ? Vous êtes aussi énervés dans la vie de tous les jours ?
Joe Talbot – Non. Je suis musicien maintenant. J’étais travailleur social pour des adultes handicapés mentaux, mais j’ai démissionné la semaine dernière. Nous faisons cela vraiment de façon cathartique, c’est notre façon d’exprimer ce que nous ressentons. En tant que collectif de cinq personnes, la façon dont nous travaillons se fait à travers la violence. Mais ce n’est pas nécessairement de la violence négative. On peut être agressif et aimant en même temps, ça transmet le message. La culture d’aujourd’hui est tellement violente, tout est pornographique ou… – il fait mine de vomir –, que pour faire passer ton message, tu dois te démarquer. Mais on essaie quand même d’être les vecteurs d’un message positif, de compréhension, d’égalité et de féminisme… et de faire ça avec amour. Quand on voit nos lives, on le comprend vite. Dans nos vies quotidiennes, on essaie d’être attentifs, attentionnés et on travaille dur en respectant les gens autour de nous. C’est sûr que je ne vais pas arriver au travail en crachant sur le sol (rires). C’est pour cela que nous avons autant de rage, on la conserve pour nos shows. C’est comme ça qu’elle est si honnête.
Mark Bowen – Je suis dentiste, donc je dois plutôt être tranquille et amical… mais j’imagine que je suis amical sur scène aussi !
Comment est la scène musicale à Bristol ?
Mark Bowen – Il y a de très bons groupes avec des accents électroniques ou une approche avant-gardiste, mais l’industrie de la musique est la même partout : il n’y a pas d’argent derrière pour financer des projets. Il y a plusieurs années, des groupes comme Aphex Twin sont devenus très riches rapidement. Ce sont surtout les personnes riches ou des classes moyennes qui peuvent financer tout ce qu’il y a en dehors des lives. Donc d’un côté c’est de la merde, mais d’un autre ça rend les choses plus honnêtes car personne ne fait ça pour l’argent. Après, il y a aussi ces tremplins que la BBC organise chaque année sur “le groupe” dont il faudra parler, mais c’est putain de terrible. Il n’y a pas vraiment de scène musicale en ce moment, ou nous n’en faisons pas partie. On est trop vieux. Il y a une scène rock intéressante à Londres avec Goat Girl ou Shame sinon.
Joe Talbot – Oui, il y a des groupes intéressants avec de forts messages politiques, ce sont nos potes mais on ne les voit qu’en tournée. On tourne tout le temps, et on écrit le second album, on n’a pas le temps de sortir et de faire la fête ou de traîner avec les autres groupes. On a bâti ça vraiment de notre côté et on n’a pas été portés par une quelconque vague.
Votre album aussi a une dimension politique et sociétale. Est-ce que tu peux nous expliquer l’idée derrière Mother autour de la condition de la femme dans la société ?
Joe Talbot – L’idée était d’explorer ce que la féminité était pour moi en tant qu’enfant et en tant qu’homme. J’ai écrit les chansons et j’essaie d’apprendre ce que c’est que d’être une femme et ce que c’est que d’être une mère à travers les yeux d’un enfant, et d’un homme qui a perdu sa mère. C’est plus une exploration dans la féminité. En ce qui concerne la violence sexuelle et les paroles, c’est de l’écriture instantanée, les paroles sont assez évidentes, j’aime mettre des choses dans l’art qui poussent à la conversation. Evidemment, je pense que la violence sexuelle ne concerne pas seulement le viol, c’est plus que cela. En pensant à la vulnérabilité de ma mère et à la façon dont elle travaillait très dur, cela m’a fait réfléchir à ce ce que les femmes devaient sacrifier pour être une bonne mère ou être une bonne femme tout en travaillant dur. Tu ne peux pas être les deux, c’est de la connerie !
Le morceau qui clôture l’album, Slow Savage, est également assez représentatif d’une partie de votre univers, toujours sur une même corde entre ironie et tristesse…
Joe Talbot – Je voulais écrire une chanson qui ressemblait à une descente aux enfers due aux drogues. Je pensais à ce que je traversais à l’époque, une rupture, et si j’avais contrôlé ma consommation de drogue, j’aurais été un meilleur petit ami. Et je voulais en tirer des leçons pour traîter ma prochaine petite amie avec plus de respect et être une meilleure personne. Cette chanson et ses paroles, c’est une dispute dans un couple, mais ça n’est pas vraiment arrivé, c’est juste une métaphore. Enfin… je veux dire, ça s’est souvent passé, oui, énormément. Trop souvent. Mais c’est plus une reconnaissance d’avoir merdé dix ans de ta vie.
Propos recueillis par Clémence Van Egmond
Idles sera en concert le 20 avril au Trabendo à Paris
Brustalism s’écoute ici
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