Les pieds à Brooklyn et la tête dans le cosmos, Prince Rama précipite l’apocalypse dans le tumulte d’un album ovni.
« Now Age.” Pour décrire l’esthétisme singulier de son groupe, Taraka Larson préfère rester à couvert, protégée par le brouillard abstrus qui entoure le néologisme qu’elle a inventé. Depuis 2007 et les premières répétitions balbutiées dans la maison parentale, Prince Rama n’a pourtant pas l’habitude de se cacher. Cinq albums sont venus rythmer autant d’années de recherche et d’expérimentations. “Avec ma soeur Nimai, on a énormément écrit en cinq années d’existence. Il nous est même arrivé de sortir deux albums la même année. Avec cette sixième publication, on a voulu pousser encore plus loin la démarche spirituelle et artistique qui nous anime depuis nos débuts.”
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Sur Top Ten Hits of the End of the World, nouvel album original aux faux airs de best-of, les deux sœurs invitent leurs considérations métaphysiques sur un projet inédit. Entre new-wave, psychédélisme et mysticisme hindouiste, Prince Rama incarne les fantômes de dix groupes fictifs disparus lors d’une apocalypse imaginée. On pourrait considérer pareille ambition comme un prétexte excentrique destiné à mettre en valeur la grande variété de la gamme des Américaines. Il n’en est rien. Derrière des dehors loufoques et farfelus, le concept-album renferme une vérité plus intime.
Taraka explique : “Nimai et moi avons été élevées dans le mouvement Hare Krishna. La plupart des théories sur la fin du monde sont basées sur l’interprétation maya de l’apocalypse. Dans l’hindouisme, notre conception est différente : la fin du monde revient de façon cyclique. Je préfère d’ailleurs parler de fin d’un temps. Il y a un nombre infini de morts et de naissances des mondes et chaque occurrence est considérée comme quelque chose de positif.”
Si l’apocalypse doit être envisagée sous son aspect le plus positif, Prince Rama préfère l’habiller d’une bande originale grave et inquiétante. Avec Blade of Austerity ou No Way Back, l’album enfonce d’emblée les portes de ténèbres aussi lugubres que captivantes. Une ouverture directe et spontanée qui colle avec la volonté du groupe de s’affranchir de toute formule introductive. “Nous voulions construire un album à l’image des rencontres et des conversations qui nous passionnent, assure Taraka. Quand on parle avec quelqu’un pour la première fois, on adore aborder des sujets profonds sans se soucier du nom de notre interlocuteur. Naturellement, on a pensé que la meilleure façon d’introduire notre musique était de rentrer directement dans le vif du sujet. Sans round d’observation.”
Présenté comme une compilation, le sixième album de Prince Rama se distingue paradoxalement par une structure dense et unie. Chaque chanson semble rattraper l’écho persistant de la précédente pour proposer une entité rythmée et nerveuse, qui n’est pas sans rappeler les progressions logiques des grands frères d’Animal Collective.
En 2010, les soeurs Larson ont d’ailleurs rejoint Paw Tracks, le label monté par Avey Tare et son animalerie sonique. “J’ai rencontré Avey à la fin d’un concert, j’étais exténuée et ce mec me proposait mille idées. Je me suis rendu compte de son identité à la fin de notre conversation, lorsqu’il m’a donné le nom de son groupe. Peu de temps après, il nous a demandé de rejoindre son écurie et tout s’est enchaîné.”
Nimai et Taraka présentent déjà leur troisième publication sur Paw Tracks. Après une enfance étirée entre la Floride et le Texas et des études aux beaux-arts de Boston, les sœurs Larson semblent ainsi avoir trouvé une stabilité à New York. Pas pour la ferveur et l’émulation musicale de la ville, où elles évoluent à l’écart de la scène hype du moment. Avec ses mantras hindous répétés à l’infini, sa superposition de textures et son esthétisme nébuleux, Prince Rama s’élève même comme une incongruité fascinante. Même à Brooklyn. “On n’a pas vraiment de connexion avec les autres groupes qui émergent autour de nous. À vrai dire, on part rarement dans les bars à la recherche du nouveau phénomène à la mode. En ce moment, on préfère rester à la maison écouter Black Sabbath.”
En fin d’album, la chanson Welcome to the Now Age ajoute une variable prophétique à l’équation mystique proposée par les musiciennes. Sans doute la chanson que Sébastien Tellier a oublié de composer pour parachever My God Is Blue. Mais à force de dézoner, le groupe ne risque-t-il pas de perdre en clarté ? “Ce disque est au contraire une bonne opportunité de rendre notre musique moins opaque. On voit dans le ‘Now Age’ une incarnation artistique de notre vision de la fin du monde. C’était le moment de lever le voile sur notre spiritualité. Et puis en grec ancien, ‘apocalypse’ veut bien dire ‘révélation’.”
Concerts : le 9 novembre à Tourcoing, le 30 à Paris (Espace B)
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