Une double compile et un concert célèbrent les 10 ans du studio Bogolan de Bamako. Souvenirs d’un Mali en paix. Critique.
« On ne vient pas ici pour avoir le meilleur son au monde. On y vient pour le contact humain et pour se confronter au feeling malien.” “Ici”, c’est le studio Bogolan, à Bamako. Yves Wernert, ingénieur du son français, ancien membre du groupe nancéien Double Nelson, est à l’origine de ce lieu proche du fleuve Niger, fonctionnel et sans faste mais d’un charme local imparable, où furent conçus certains des meilleurs albums africains de ces dix dernières années. Oumou Sangaré, Toumani Diabaté, Ali Farka Touré, Tinariwen mais aussi Damon Albarn, Dee Dee Bridgewater, M et Björk, tous présents sur une double compilation parue ces jours-ci, y ont enregistré, contribuant chacun à leur manière à la reconnaissance de la musique malienne à travers le monde.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Pour Björk, “se confronter au feeling malien” a dépassé ses espérances… “Le premier jour, elle est arrivée à 9 heures du matin et une demi-heure plus tard l’électricité était coupée pour le reste de la journée. Le lendemain, l’électricité était bien là mais pas Toumani Diabaté avec qui elle enregistrait. Il s’est pointé à 17 heures. Et malgré ses promesses répétées, il en fut ainsi les jours suivants. Comme c’est un griot, et donc un diplomate dans l’âme, il envoyait en début d’après-midi l’un de ses frères avec sa kora, et un peu plus tard un autre frère pour accorder la kora…”
Des souvenirs et des anecdotes, Yves Wernert n’en manque pas, lui qui a passé douze ans à Bamako, dont l’essentiel derrière sa console. Tout a commencé au milieu des années 1990 dans une ruelle de Quinzambougou, au coeur de la capitale malienne. À l’époque, toute l’“industrie” locale se concentre dans un petit bâtiment ocre de plain-pied, réparti en trois unités sous l’enseigne Mali K7 : un studio d’enregistrement au matériel vétuste, un atelier de duplication et d’emballage de cassettes et un bureau administratif. Philippe Berthier produit, Yves Wernert enregistre, Ali Farka Touré cofinance.
Six ans plus tard, changement d’ère et de trottoir. Yves rassemble ses économies, emprunte à ses proches et équipe la maison située en face d’un matériel numérique. Le studio Bogolan – nom d’une technique d’impression sur tissu, fleuron de l’artisanat malien – est né. Mais pour Ali Farka, il est déjà tard. Fatigué, le vieux lion souhaite prendre sa retraite. Séduit par le lieu, il passe quand même régulièrement, le plus souvent sans prévenir, et enregistre. “Je lui faisais des copies CD de ses prises qu’il écoutait au volant de sa Mercedes.” De ces séances impromptues naîtra Savane, son dernier et meilleur album, sorti en juillet 2006, quatre mois après sa mort.
Les dix ans d’activité du studio, la compilation Bogolan Music les célèbre en deux volets : “Tradition” et “Autour du Monde”. Y sont réunis la grande famille de la musique malienne et ceux qui s’y sont ressourcés. Retrouver sur un même support la voix d’or de Kassé Mady Diabaté et la walkyrie Björk, écouter Dee Dee Bridgewater répondre à la griotte Bako Dagnon, tout ça appartient aux merveilleuses occurrences que seul le Mali est en mesure de susciter et que le Bogolan a su capter.
Et pour peu que l’on soit sensible au symbole, entendre le virtuose du ngoni, Bassekou Kouyaté, originaire de Ségou, partager le même disque que les Tinariwen de Kidal, reste dans le contexte actuel plus heureux qu’entendre le son des tirs de mortier.
Concert le 2 février à Paris (Centre Fleury Goutte d’Or)
{"type":"Banniere-Basse"}