Héritiers d’une belle tradition de groupes anglais, les flamboyants et romantiques Palma Violets portent sur leurs frêles épaules le futur du rock local. Même pas peur. Critique et écoute.
« Oui, je crois qu’on aimerait bien vous signer.” La voix est douce, proche du murmure. Elle fait pourtant beaucoup plus de bruit que celles, braillardes, des dizaines de directeurs artistiques qu’ont déjà rencontrés les Palma Violets, agitant leurs chéquiers, brandissant leurs promesses testostéronées. C’est l’automne 2011 et, à l’ancienne, les Palma Violets reçoivent chaque label dans leur antre du Studio 180. Un taudis du quartier de Lambeth à Londres où ils ont posé leurs instruments et planifié leur avenir. Dans leurs rêves, cet avenir inclut un label maintes fois croisé sur des pochettes de disques chéris, des Smiths aux Libertines : Rough Trade. Ça tombe bien : la voix douce est celle de Geoff Travis, fondateur du label et gentleman de la pop indé anglaise.
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Ce travail de dénicheur de talents dont Rough Trade est spécialiste, l’un des deux chanteurs des Palma Violets – Chilli Jesson – l’avait improvisé au culot quand, jeune ado, il se pensait trop médiocre pour démarrer son propre groupe. “J’aurais tout fait pour travailler dans la musique. Même distribuer des tracts à la sortie des concerts.” Il connaît par coeur les rouages du métier : son père est manager de Nick Cave. Mais c’est sans le moindre piston ou conseil et sous l’oeil inquiet d’un paternel qui a vu en direct l’effondrement de l’industrie du disque que Chilli se lance, s’improvise manager et directeur artistique. Il voit WU LYF sur scène, un choc absolu, et réussit presque à les arracher à leur manager et à un deal déjà bien avancé.
Qu’importe cette première déconvenue : dans le camping du Festival de Reading, il rencontre un gosse de son âge qui joue de la guitare devant sa tente. Il lui propose monts et merveilles, carte de visite pipeautée à l’appui. C’est Sam Fryer, qui deviendra le second chanteur des Palma Violets. Celui-ci se souvient “d’un mec vraiment crédible, au culot monstre, qui m’a vendu du rêve. Il m’a bien niqué avec ses mensonges ! Après Reading, on a continué à se voir au pub. On ne parlait que de musique : ‘Est-ce que tu connais ça ?’ ‘Tu devrais écouter ça.’ Il m’a fait connaître Nick Cave et moi, je l’ai contaminé avec Clash… Je pensais ne jamais rencontrer une personne aussi obsédée que moi, aussi motivée. C’était comme trouver la pièce manquante…”
Officiellement, pendant des mois, Chilli Jesson est manager des Palma Violets. Il en devient bassiste par défaut. “C’est Sam qui m’a poussé à prendre la basse et m’a appris à jouer. Pour nos premiers concerts, j’avais tellement l’impression d’être un imposteur que je jouais dos au public. Je n’ai jamais rêvé de monter sur scène, je voulais rester dans l’ombre.” Sam confirme ce drôle de recrutement : “Chilli avait la culture musicale, le bon goût, et humainement il était proche de nous : ça suffisait. Savoir jouer, ce n’était qu’un détail.” Quand il signe chez Rough Trade fin 2011, le groupe n’a pas donné cinq concerts et joue avec ce bassiste débutant. Mais qu’importe la compétence : Palma Violets possède dès le début – on a vu leur septième concert, inouï – cette flamme, cet enthousiasme qui compense largement les couacs et les accidents. Le groupe tire même de ses limites sa force et sa grandeur.
La presse musicale et les labels refoulés s’unissent alors pour placer tous leurs espoirs dans ces gandins de caniveau : ils doivent être les sauveurs du rock anglais, les porte-drapeaux d’un grand retour de l’indie-rock sur lequel tout le monde a spéculé pour 2013. Peu de pression donc pour les Palma Violets au moment d’enregistrer leur album : ils portent juste sur leurs épaules le futur d’une scène, d’une industrie. “Ça me fait bien rire, ricane Chilli. Combien de groupes avant nous ont été vendus comme des sauveurs ? J’ai une confiance inouïe dans notre groupe. En studio, nos chansons m’ont parfois fait pleurer. Nous avons joué des choses dont nous nous pensions incapables.”
Qu’importe l’énormité des attentes : ce groupe est en croisade. Contre la futilité, contre l’imbécillité, contre l’humiliation que subit la pop anglaise depuis l’avènement de Simon Cowell et de ses émissions de télé-réalité à la X Factor. Des radio-crochets pour musiciens corvéables à merci qui semblent n’être là que pour nettoyer le monde fantastique de la musique de ce qu’il a de plus ingérable et pénible : les artistes, avec leurs caprices et leurs états d’âme. Chilli s’emporte quand on évoque ce nom. “Je hais ce que ces émissions font subir à la pop-music… Aujourd’hui, Clash ou les Sex Pistols seraient refoulés, ridiculisés. Nous aussi, bien sûr : mais à quoi bon la technique si on n’a rien à exprimer ?”
C’est sur ce rêve de partage, de générosité, de complicité entre groupe et public que les Palma Violets ont composé leurs premières chansons – des hymnes, déjà, tant ils semblent incapables de dompter le désir ardent qui agite leurs concerts. “En démarrant, notre plus grande ambition était d’offrir de l’énergie, de la passion, que chaque concert soit un moment unique, se souvient Sam. Je me force même, en studio, à ce que les chansons restent le plus simple possible pour pouvoir les jouer plus librement sur scène…” Avec une culture effarante pour un groupe si jeune (ils citent par exemple le Gun Club), les Palma Violets parlent avec intimité, militantisme même, d’une tradition anglaise à laquelle ils sont fiers qu’on les rattache. Des Kinks aux Smiths, de Clash aux Libertines, tous les noms de groupes que l’on évoque comme possibles aïeuls de ce rock à la fois traditionnel et excentrique – en un mot : britannique – font briller les yeux des jeunes hommes. Car les Palma Violets savent que les meilleurs groupes de pop anglaise étaient de sacrés groupes de rock dès qu’ils montaient sur scène. Ils savent pareillement que les plus grands groupes de rock anglais étaient, le temps d’un refrain, de flamboyants groupes pop. Les Palma Violets appliquent à la lettre ce savoir, dans un maelström de guitares maltraitées et de refrains cajolés. “Nous tenons beaucoup, viscéralement, à ce rock britannique, à son âme…”
L’album s’appelle 180 en hommage au lieu où le groupe s’est inventé, dessiné, affirmé entre rats bien vivants et renards empaillés. “Je me sens davantage chez moi ici que chez mes parents”, murmure Chilli en évoquant les nuits blanches passées dans ce refuge, partagé avec peintres et photographes. “Jusqu’en septembre dernier, continue Sam, on avait des petits boulots le jour et on passait nos nuits au 180. C’était notre forteresse. Pour moi qui ai passé ma vie à m’enfuir dans les rêves, c’était comme une continuation de cette bulle, protégée du monde… Il y a eu beaucoup de morts dans ma famille, la musique et l’écriture m’ont aidé à m’évader…”
Il faut entendre le refrain de leur single Best of Friends… Il raconte les histoires d’enfants perdus dont les meilleurs amis sont des disques, l’amitié fusionnelle et pourtant conflictuelle, les amours troubles qui, des Stones aux Smiths, ont donné au songwriting anglais ses chansons les plus tendues et les plus merveilleuses. Il dit aussi à quel point la musique peut être la seule échappatoire à une frustration – le mot revient souvent dans la conversation – chevillée au corps. “On a tout sacrifié pour les Palma Violets : nos salaires, nos copines, nos vies…” Tant mieux : leurs chansons ont transformé en énergie débordante leur misère sexuelle. Il est même bon que les Palma Violets ne baisent pas. Car pour l’amour, il y a les garçons, qui se regardent et se frôlent en un ballet majestueux, sur scène comme dans la vie. “Je vois parfois des groupes sur scène dont je sens qu’ils ne s’aiment pas, ils ne se regardent même pas, ne se touchent pas, dit Chilli. Il y a une mystérieuse alchimie entre nous, qui rend les chansons bien plus grandes et importantes que nous.”
C’est ce qui sidère quand on voit les Palma Violets sur scène : cette fusion aussi palpable que la jubilation. Cette dernière est contagieuse : on ne compte plus les filles topless dans le public, même en prude Albion… Les Palma Violets semblent foncer tête baissée dans leur tornade, sans chiqué, sans calcul : tout est pour de vrai, des ongles salopés par la crasse du 180 aux mains qui tremblent quand on parle du pouvoir unique d’une chanson. “I found love”, braille joyeusement une de leurs chansons. Oui, on l’a trouvé.
concert le 5 avril à Paris (Flèche d’Or)
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