Changement de cap chez Birdy Nam Nam, avec un nouvel album partagé entre racines hip-hop et sève electro, ambiance de fête et gueule de bois. Rencontre, critique et écoute.
« Une digestion radicale et pessimiste des deux premiers albums.” Dans la semipénombre de leur studio du XIe arrondissement de Paris, c’est en ces termes que Little Mike et DJ Pone, quarts de Birdy Nam Nam, présentent Defiant Order. Eut-il fallu qu’on décrive ce troisième album en une phrase, on n’aurait pas fait mieux.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Au contraire, depuis la première écoute, on est tenté de lui accoler la condamnable proposition “de la maturité”. Et pour être franc, l’heure d’entretien que nous ont accordée les deux larrons, rejoints à mi-course par DJ Need et sa barbe mérovingienne, n’a rien arrangé : quel que soit l’angle d’attaque, du plus trivial au plus sournois, impossible de leur décrocher la tête des épaules.
Cette Victoire de la musique, négligemment posée entre deux platines ? “Un prix qui rend ta carrière plus réelle pour tes proches, et l’aboutissement d’un travail pour le label.” Les virulentes critiques qu’essuie sur le web leur single Goin’ in, dont la techno minérale n’aurait pas dépareillé dans le catalogue Sound Pellegrino (on y entend d’ailleurs un Teki Latex shooté à l’hexafluorure de soufre) ? “Mieux vaut qu’on parle de nous en mal que pas du tout.” Leur future tournée des Zénith, qu’ils auront une dizaine de jours pour caler une fois le dictaphone coupé ?
L’occasion de revenir aux fondamentaux, de “trouver une bonne balance entre du kick au premier degré et des plages de respiration, parce qu’un concert peut être chanmé sans sapin de Noël et sans que toute la salle saute”. Leur passé de nerds des platines, qu’ils ont longtemps traîné comme un boulet ? Ils le réinvestissent aujourd’hui dans leurs compositions, par exemple à coups de percussions à la tête de lecture.
Bref, sur sillon comme en chair et en os, c’est un groupe assagi que l’on découvre. Un groupe qui encaisse, qui assume et qui va de l’avant. Le secret de cet élan est dual. Il est d’abord environnemental. Un temps sis au sous-sol du Social Club, celui-là même qui accueille désormais le très select Silencio, Birdy Nam Nam a pris ses quartiers au fond de la cour d’une résidence tout ce qu’il y a de plus banale, à ceci près que l’endroit héberge aussi le label Third Side et, surtout, de Jackson à Bot’Ox en passant par Surkin, plusieurs french bidouilleurs de talent : “Ici, c’est la Commune de Paris, il y a une émulation mortelle. T’as un truc à demander, un conseil, un avis, t’as toujours quelqu’un pour répondre.”
C’est d’ailleurs ce déménagement qui a permis aux Birdy de faire connaissance avec Para One, producteur de Defiant Order. La bande ne tarit pas d’éloges pour ce surdoué des consoles de mixage et des stations de montage : “Contrairement à Yuksek (à l’oeuvre sur le très musclé Manual for Successful Rioting – ndlr), qui est intervenu sur des morceaux terminés, il a été à nos côtés dès le début, quasiment 24 heures sur 24, comme un cinquième membre. Il a su être à l’écoute à la fois du groupe et des individus, a tranché quand il le fallait.”
Résultat, en dépit d’un travail expérimental titanesque et d’incessants allers-retours, Pone, Mike et Need font état d’un enregistrement “en ligne droite, détendu”, qui leur a permis de “se retrouver en tant qu’amis, en tant que frères”. On découvre une nouvelle face du groupe : devenus pères de famille, ils ont peut-être aujourd’hui de plus sérieuses préoccupations que leurs recherches soniques : “Pendant l’enregistrement, on baignait dans une ambiance assez cataclysmique, avec comme impression qu’arrive la fin d’un cycle. On est bientôt en 2012, il y a eu l’accident nucléaire au Japon, le système capitaliste est en bout de course… Tout part en couilles, mais même si ça nous soûle, on a d’abord les jetons pour nos gamins.”
Entre sérénité et inquiétude, Defiant Order est donc bel et bien affaire de dualité. Dualité homme-machine, une main sur un vinyle, l’autre sur une souris. Dualité entre racines hip-hop et ramifications électroniques, entre prises de risques insensées et cartons scéniques assurés. Dualité, enfin, de notre sentiment vis-à-vis de l’ensemble : convaincu qu’il s’agit du disque le plus abouti et le plus riche de Birdy Nam Nam, on appréhende déjà la suite, inquiet qu’elle ne puisse être supérieure. Triste époque où “la musique s’écoute comme on mange un grec. Une demi-heure plus tard, tu la rotes, encore une demi-heure plus tard, t’as encore faim”.
{"type":"Banniere-Basse"}