Américaine prodige de 22 ans, Zola Jesus est fan de films d’horreur et de musiques gothiques et industrielles. Son troisième album
d’electro anxieuse mais plus pop devrait la rendre incontournable. Critique et écoute.
Un mètre cinquante, cinquantecinq à tout casser. Des cheveux blond platine, une grande tunique blanche, des ballerines de designer en plastique noir. Avec son nouveau look qui tranche avec le all-black des débuts, Zola Jesus ressemble à un elfe tout droit échappé d’un roman d’heroic fantasy de Tolkien. “Dans la vie, tu te fais une représentation de ce qui est confortable pour toi, et tu évites ce qui ne l’est pas. Je veux au contraire explorer ce qui m’est inconfortable, c’est-à-dire porter des vêtements et des cheveux clairs, écrire des chansons pop, et que tout le monde entende ce que je dis. Je suis un peu comme ces gens qui ont peur du noir et suivent des thérapies au cours desquelles on les fait justement s’asseoir dans une pièce noire jusqu’à ce qu’ils se sentent en sécurité. Je fais la même chose avec la lumière.” Zola Jesus part dans un éclat de rire. Le sourire, enfantin, prend alors tout le visage.
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Ne pas fuir le trauma, l’angoisse. S’y confronter au contraire de toutes ses forces, avec en ligne de mire l’exigence implacable d’être soi-même. Telle est la ligne de conduite adoptée par la jeune femme, et le sens de Conatus, le titre de son nouvel album qu’elle a chipé au philosophe néerlandais Spinoza. “Ça signifie continuer à exister, aller de l’avant. Ça traduit parfaitement l’état dans lequel je me trouvais avant de commencer ce disque. J’ai pensé très sérieusement à arrêter de faire de la musique. C’est trop stressant. L’industrie, les médias, l’exposition…”
La musique, Nika Roza Danilova en fait depuis l’âge de 5 ans. Dans la campagne du Wisconsin où elle grandit, elle invente sans cesse des chansons, qu’elle hurle ensuite autour de la maison. Elle se met au piano et tanne ses parents pour prendre des cours de chant lyrique, qu’elle suivra pendant dix ans. L’adolescence sera, elle, un long “désapprentissage” marqué par une éclatante réinvention de soi, identitaire et musicale : à 15 ans, Nika, qui écoute à fond Throbbing Gristle, Dead Can Dance, Lydia Lunch ou Diamanda Galas, prend le pseudo de Zola Jesus, collusion de “deux révolutionnaires”, et demande qu’on l’appelle désormais ainsi.
Elle commence également à enregistrer de la musique dans sa chambre, avec un quatre-pistes et un synthé. Effet garanti au collège. “Beaucoup ont trouvé le nom stupide et ont arrêté de me parler. C’était parfait parce que c’était mon but. Je ne voulais être proche de personne. Aujourd’hui encore, j’ai très peu besoin d’amis.”
Zola Jesus vit désormais à Los Angeles, une ville qu’elle n’apprécie pas particulièrement mais où son mari s’est installé voilà un an. C’est là qu’elle a enregistré Conatus, qui vient brillamment prolonger la brèche entrouverte avec les impressionnants The Spoils et surtout Stridulum II, les deux albums d’electro noise et dark qui lui ont valu d’affoler les blogs avant de s’attirer une reconnaissance internationale. Fever Ray et The XX l’ont notamment invitée à ouvrir leurs concerts.
Dense, compact, Conatus est d’apparence moins sombre, beaucoup plus pop et accessible que les albums qui précèdent. La voix, puissante, chaude, est toujours aussi captivante. “Quand j’ai commencé ma carrière, l’idée de faire une chanson pop était vraiment à des années-lumière de moi. Mais ça a changé. Un truc avant-gardiste ne sera apprécié que par très peu de gens. Si par contre tu fais de la pop, tu peux faire passer des trucs vraiment tordus à un très grand nombre de personnes. J’y trouve un plus grand accomplissement.”
Pop, Conatus n’en reste pas moins tendu, nourri par des influences techno, indus, dubsteb, et secoué par des textes noirs. “Je ne voulais pas d’un disque heureux, mais d’un disque lumineux, nuance-t-elle. Mes textes ont beaucoup à voir avec la frustration, le désespoir. Je pense que quelque chose qu’on ne peut pas arrêter est en train de se produire dans le monde, et ça me désespère. J’ai cette frustration de ne pas tout comprendre, de ne pas savoir pourquoi on est là. J’aimerais me poser moins de questions parfois, juste vivre.”
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