Un chef-d’œuvre libertaire pour défaire la domination.
1933 – accession d’Hitler au pouvoir –, un train, trois voyageurs. Deux hommes dorment, une femme dessine. La blonde tente de faire le portrait de ses modèles (inversion de la figure historique du peintre face à sa muse), mais les soubresauts l’empêchent de produire une image fixe (inversion de la stabilité historique du récit par le mouvement perpétuel).
Dix ans plus tôt, Ernst Lubitsch aussi a pris un train, pour fuir l’Allemagne nazie. Sérénade à trois mêle tous ces voyages, ces récits, dans un chef-d’œuvre en forme d’art poétique. Récit politique ou de guerre : une femme tombe amoureuse de deux hommes et prend l’initiative d’un trio (un trouple), qu’elle nomme “traité de désarmement”. Désarmement de la jalousie, de la monogamie, de la fidélité “sexuelle”, catégories perpétuant un schéma où l’homme domine.
Récit spéculaire ou art poétique : la femme, qui est l’actrice de sa propre vie, a besoin simultanément d’un amant écrivain (le scénario) et d’un amant peintre (les images). Autrement dit, l’héroïne lubitschienne est moins une actrice qu’une metteure en scène. Durant une union éphémère, elle cohabite avec un riche mari (le producteur), qui finance le trio, avant de se livrer à sa vraie libido, non pas le sexe, les affaires.
Il n’y a pas eu de drame bourgeois (le capitaliste sexuellement impuissant laisse partir pacifiquement son épouse libertaire), mais beaucoup de ces ellipses, ou dénégations (“no sex”, répètent-ils en s’embrassant avidement), qui, chez Lubitsch, n’ont pas le goût du tabou, mais de ce mouvement perpétuel qui dessine la vie libre comme une pure mise en scène.
Sérénade à trois d’Ernst Lubitsch (E.-U., 1933, 1 h 31, reprise)