Comment est-on homme en 2018 ? La photographe Rosie Matheson a immortalisé plusieurs dizaines de jeunes britanniques pour documenter leur identité d’homme, dans un contexte de remise en cause des carcans de la virilité classique.
Les représentations masculines changent, et la photographie le montre. Rosie Matheson, jeune photographe originaire de Brighton et vivant à Londres, s’est donné comme objectif de photographier les nouvelles formes de la masculinité chez les jeunes du Royaume-Uni. En résulte la série « Boys », parue dans le magazine Creative in Focus produit par l’agence de photos Getty, une série de portraits à la sensibilité à fleur de peau.
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Les visages expriment chacun à leur façon une identité propre et un « être homme » singulier et nouveau. La série « Boys » retrace la progression vers un masculin pluriel, à la représentation multiple, libéré dans sa façon de vivre sa virilité et sa sexualité. Rencontre avec celle qui a immortalisé cette masculinité aux multiples visages.
Comment as-tu commencé ta série “Boys” ?
Rosie Matheson : « Boys » s’est lancé de façon officieuse en 2014 : j’ai volontairement décidé de prendre en photo davantage d’hommes. Les filles étaient plus intimidantes. Je travaille seule, sans coiffeur ou styliste, et quand j’ai vraiment commencé dans la photo elles m’apparaissaient moins à l’aise devant l’objectif sans avoir été maquillées, coiffées et habillées. Je suis plutôt une rapide, mes shooting pour « Boys » ont duré en moyenne trente minutes chacun. J’adore la particularité d’un shoot en tête à tête, quand on essaie vraiment de saisir qui est la personne en face : travailler seule pour « Boys » était important pour moi et s’avère être ce que j’ai toujours préféré.
Tu photographies des jeunes hommes dont la voix n’est plus aussi écoutée qu’avant. Pourquoi utiliser le médium silencieux de la photographie ? L’image est-elle une parole pour toi ?
La photographie est mon métier, ce que je fais, la manière dont j’exprime mes pensées et mes idées. Je pense que le pouvoir d’une seule image est incroyable, et tout autant (voire plus encore) significative que des mots, un geste ou un son. Je pense que les images sont ouvertes à l’interprétation, une audience peut prendre ce qu’elle veut d’une photographie et lui faire dire ce qu’ils ont envie ou besoin d’entendre ou d’être.
Comment as-tu rencontré et choisi tes modèles ?
J’ai repéré la plupart des jeunes gens sur Instagram ou dans la rue. L’un d’eux, Seb, je l’ai rencontré à ma bibliothèque municipale à Brighton. Quelques-uns sont également des amis d’amis ou bien m’ont été suggérés par des connaissances.
J’ai pris la décision de ne pas contacter d’agences directement car j’ai pensé que cela m’éloignerait de la personnalité du modèle, qui m’intéressait plus ici que son apparence. Ce ne sont pas des mannequins que j’ai voulu photographier mais des gens, tels qu’ils sont, offrir quelque chose de plus réfléchi. Chaque photographie que je partage et chaque image dans le projet « Boys » est importante en ce qu’elle communique sur le sujet. Je n’ai aucun critère de sélection pour mes modèles, mais je sais immédiatement quand je vois quelqu’un que c’est lui que je veux photographier. J’imagine que saisir l’étincelle chez les gens puis la capturer fait partie de mon métier, rechercher l’extraordinaire dans l’ordinaire et représenter quelqu’un de la meilleure façon possible.
« (Être face à une femme) leur ôte le besoin de jouer de leur masculinité, ce qui se produit d’habitude quand des hommes travaillent ensemble. »
Comment es-tu parvenue à saisir la manière d’être homme de tes modèles ?
Je pense que la dynamique est intéressante quand une femme photographe prend comme modèle un homme. Cela les détend presque, il sont plus ouverts et on leur découvre un côté plus doux. Une vulnérabilité se révèle, d’après ce que j’ai pu voir. Une femme leur ôte le besoin de jouer de leur masculinité – ce qui se produit d’habitude quand des hommes travaillent ensemble. Mon intention première n’a jamais été de faire cette série à propos de leur masculinité directement mais j’imagine qu’au cours du développement et de la présentation du projet, ces thèmes ont vu le jour dans le regard des gens sur les photos.
Penses-tu que, dans ce cas de figure, le regard féminin est un atout ? Est-ce différent de parler et photographier la masculinité lorsqu’un homme est derrière l’objectif ?
Oui. Je ne dis pas qu’une femme photographiant des hommes fait mieux le job, mais c’est une expérience différente. Ce n’est pas que seule une femme aurait pu prendre ces photos, mais il est plus simple pour ces jeunes de s’ouvrir dans leur façon d’être et de ressentir les choses face à un regard féminin. En tant que photographe, on prend le pouvoir quand le modèle prend la pose. Je pense que les femmes permettent aux hommes de baisser leur garde et de se sentir à l’aise : il n’y a rien à prouver, pas de rival, pas d’étalon auquel se mesurer, pas de nécessité à “faire le mec”. Je pense aussi qu’en tant que femme, ce projet me permet d’explorer quelque chose d’inconnu, d’expérimenter et de comprendre un autre genre d’une certaine façon. Le projet « Boys » est ma réflexion sur la masculinité.
« Je pense que les femmes permettent aux hommes de baisser leur garde et de se sentir à l’aise. »
Qu’as-tu appris lors de ton projet sur la façon dont les jeunes hommes essaient de se construire dans le contexte actuel ?
Je pense que c’est intéressant de les photographier au moment où les contre-cultures, qui donnent une voix et une identité à la jeunesse, sont de plus en plus invisibles. Tout le monde porte la même marque, tout se recoupe, il y a peu de courants différents dans les sous-culture comparés à ceux nés il y a vingt ou trente ans, qui liaient ensemble des jeunes avec des façons de penser, de créer, de se rebeller similaires. Maintenant tout se passe en ligne et c’est une perte. Bien sûr que ces cultures alternatives existent encore, mais plus de la même manière. C’est fascinant d’examiner les gens un peu plus en profondeur, d’aller chercher ce qui fait leur identité pour documenter un moment de l’histoire.
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