Il y a trente ans, au 84 King Street, à New York, un club mythique fermait définitivement ses portes : le Paradise Garage, symbole intemporel d’une certaine idée de la fête.
Au milieu des années 70, au coeur d’une Big Apple sclérosée par la pauvreté, les drogues, le crime et les discriminations, Michael Brody et son compagnon Mel Cheren, fondateur du label West End Records, rachètent un vieux parking dans le Downtown Manhattan.Tandis que la jet-set poudrée de New-York se presse à l’entrée du Studio 54, ils veulent faire du Garage un lieu d’exaltation et de rencontres, le théâtre d’une culture hybride et débridée. Malgré une soirée d’ouverture catastrophique en janvier 1978 (deux heures de retard et des premiers fêtards poireautant dehors en plein blizzard), l’équipe du “Gay-rage” parvint à offrir à ses membres – pour la plupart marginaux, homosexuels, noirs, latinos, queer, etc. – un refuge où être soi-même, un lieu où danser et se sentir vivre sous les lumières hachées des projecteurs.
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Un lieu d’inspiration pour Madonna
En dix années, le club forgea sa légende. Sa scène vit défiler quelques unes des stars de l’époque, de Taana Gardner, Loleatta Holloway, Withney Houston à Chaka Kan ou New Order. Lieu d’inspiration, Madonna y tourna son premier clip, pour Everybody, à l’occasion de l’une des “Party of Life” organisées annuellement par un Keith Haring recouvrant de ses fresques les murs du club et la peau ébène d’une Grace Jones à la sensualité brutale et androgyne. Lieu d’émulation, Pattie LaBelle, Mick Jagger, Nils Rodgers pouvaient y croiser Diana Ross, Prince, Andy Warhol, Basquiat, Jean-Paul Goude ou Futura 2000 déambulant dans les loges et les différents espaces du club : la Cristal Room, le Roof Top, la salle de projection ou encore le Juice Bar – le Garage ne possédant pas de licence pour la vente d’alcool, on y buvait des jus de fruits, que l’on complétait à sa guise de tout ce que les années 70 et 80 produisirent de paradis artificiels.
https://www.youtube.com/watch?v=NQHCVcbnJjg
Odes à l’amour et à la vie
Il serait vain toutefois de séparer le mythe du Garage, de l’icône qui y sévit du début à la fin. Maestro derrière ses platines, Larry Levan orchestrait chaque weekend d’interminables odes à l’amour et à la vie. Ce gosse de Brooklyn fit d’abord ses classes aux Continental Baths, aux côtés de Frankie Knuckles, son ami d’enfance, avant d’hériter de ses ainés leurs techniques novatrices. David Mancuso d’abord, fondateur et gardien du Loft, compositeur pionnier de sets aux atmosphères audacieuses et créateur visionnaire des soirées members only et sans alcool. Nicky Siano ensuite, DJ déluré et résident de The Gallery, le premier à mixer en modifiant la vitesse de ses platines.
Du Disco à la New Wave
Perfectionniste à l’excès, Levan conçut avec l’ingénieur Richard Long ce que beaucoup considèrent comme le meilleur sound-system de l’histoire (talonné de près par sa réplique londonienne installée au Ministry of Sound). Une pépite de technologies, qui devint son outil de création fétiche et grâce auquel il inventa son propre style, la Garage music. Disco bien sûr, mais aussi rock, punk, pop, new-wave, funk ou encore hip-hop et house naissante, Levan les réunissait dans chacun de ses sets, soignant ses transitions et étirant des morceaux agrémentés de chœurs envoûtants et de bass dub. Producteur de quelques tubes dont Heartbeat de Taana Gardner ou Don’t Make Me Wait des Peech Boys, mais surtout auteur de remixes fondateurs tels que Love Is The Message (MFSB), Stand On The World (Joubert Singers) ou Love Honey, Love Heartache (Man Friday). On lui attribue ainsi la paternité des longues plages instrumentales, qu’il expérimentait en live sur ses boîtes à rythme, initiant l’ère du maxi et de l’extended version en face B.
Une histoire flamboyante et éphémère
Du haut de sa cabine, le premier des DJ-star contrôlait le son mais aussi la lumière, et par là même l’atmosphère d’un club dédié à l’amour immodéré de la danse. Sa contribution à une nouvelle appropriation du dancefloor est immense. Seuls, par grappe ou en cercles ritualisés, les meilleurs danseurs de la ville venaient tester leurs derniers pas. Des heures durant, Levan devenait ainsi le gourou d’une foule compacte, grouillante et qu’il animait à sa guise, entretenant avec ses danseurs une relation quasi télépathique. Des témoins disent même qu’il pouvait pleuvoir au Garage, la ferveur étant telle que la chaleur et l’humidité formaient des gouttes d’eau tombant sur les danseurs depuis les plafonds.
Flamboyante, l’histoire du Paradise Garage est aussi éphémère. Au début de l’année 1987, Prince chante “the big disease with a little name” en ouverture de son morceau Sign ‘O’ The Times. C’est justement lui, le SIDA, qui mettra fin à la fête, terrassant icônes et anonymes, tous acteurs de cette génération fêtarde et prolifique. Le Garage ferma au terme d’une fête mémorable… de 48h. Devenue une figure artistique déjà fondamentale de son vivant, influençant jusqu’à la déferlante house dans les clubs de Chicago, Larry Levan transcenda le Paradis qui le fit éclore. Leur légende tient finalement en une équation, aussi rare qu’élémentaire : le bon club, le bon DJ, le bon moment.
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