Il y a une dizaine d’années, on avait pris une sale habitude : compiler sur cassette les raretés de Beck. C’était fastoche : pris dans une frénésie d’enregistrement jamais retrouvée depuis, Beck dilapidait sa fortune à tous vents. Acoustiques, dépenaillées, ploucs et tremblotées, ces chansons bleues susurraient à l’oreille : un Beck nettement moins aventureux, […]
Il y a une dizaine d’années, on avait pris une sale habitude : compiler sur cassette les raretés de Beck. C’était fastoche : pris dans une frénésie d’enregistrement jamais retrouvée depuis, Beck dilapidait sa fortune à tous vents. Acoustiques, dépenaillées, ploucs et tremblotées, ces chansons bleues susurraient à l’oreille : un Beck nettement moins aventureux, dynamiteur et progressiste que sur ses disques postmodernes officiels. Un Beck de retour au bercail, de repos du guerrier : un Beck qui ne cherchait pas à bouleverser la grammaire, à synthétiser furieusement un siècle de musique populaire américaine. Un Beck revenu à l’artisanat, avec des gestes antiques et des petits mots simples de tous les jours. Un Beck pépère : un joint, un cher rocking-chair sous la véranda, une guitare en bois de Californie, une paresse bienfaitrice et l’ambition couchée depuis belle lurette.
C’est précisément ce Beck que l’on retrouve sur Sea Change : un songwriter intouchable, dénichant dans une langue pourtant épuisée ? le folk-rock ? des mots nouveaux, des accents inédits. On a beaucoup parlé du chantier épineux de ce nouvel album, qui vit les producteurs se succéder puis s’enfuir face à l’indécision et aux doutes de Beck. Pas une seconde Sea Change n’en porte pourtant les stigmates, serein et détendu, toujours diaboliquement amène, même dans ses déprimes les plus ténébreuses.
Une fois encore, le patient et humble producteur Nigel Godrich s’est réduit en esclave des chansons, en outrant leurs petites anomalies, en glissant des pluies de cordes impensables dans la moindre crevasse, en magnifiant des refrains malingres de mille scintillements d’arrangements. Tout ceci ne se révèle bien entendu qu’au fil d’écoutes de plus en plus perplexes et passionnantes d’un album d’une immense traîtrise : un faux plat dont la moindre cavité abrite des grouillements d’idées, dont le moindre relief se révèle himalayen. Au milieu, Beck : à découvert.