Damon Albarn et ses complices maliens s’attaquent à une pièce majeure de Terry Riley : extase. Critique et écoute.
Au début des années 70, l’aiguille à peine posée sur le sillon de l’album Who’s Next, l’amateur de rock lambda faisait involontairement connaissance avec la musique de Terry Riley grâce à un chapelet de notes électroniques et à un titre explicite : Baba O’Riley.
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Cet hommage rendu par l’un des dragons du rock au père du minimalisme succédait à d’autres. Le Soft Machine de Third se plaçait clairement dans l’orbite du compositeur américain, de même que les éclaireurs du krautrock Tangerine Dream et Popol Vuh. Jusqu’à ce groupe de prog anglais un peu oublié, Curved Air, qui empruntait son nom à l’une de ses œuvres les plus en vue, A Rainbow in a Curved Air.
C’est pourtant avec une autre pièce majeure de son répertoire, In C (“En do”) que Terry Riley a traversé le temps. Défier le temps n’a jamais été un problème pour cette partition écrite il y a un demi-siècle que constituent cinquante-trois motifs répétés sans limitation de durée ni d’instruments mais selon un ordre précis. Dans Postmodernismes, John Rea parlait d’“un tissu musical tournant sur lui-même et évoluant lentement d’une couleur à l’autre, d’une tonalité à l’autre au gré de la sensibilité des musiciens”. Pareilles aux rouages d’une horloge qui s’entraînent les uns les autres, les phrases s’aboutent et se recoupent jusqu’à créer une impression d’infini, de “répétition-dérivation” d’où finit par s’extraire une harmonie statique.
Le temps dompté, restait à embrasser l’espace. Déjà reprise par le Shangai Film Orchestra avec des instruments traditionnels chinois, l’œuvre se voit aujourd’hui accaparée par l’équipe d’Africa Express sous la conduite de l’infatigable Damon Albarn, épaulé par Brian Eno. Une dizaine de musiciens maliens – balafonistes, joueurs de kora, de soukou, flûtistes, chanteurs –, sous la conduite du chef André de Ridder, apportent aux quarante minutes du morceau une coloration radicalement nouvelle, celle de la terre ocre du Mandé, ainsi qu’une dynamique inhabituelle.
Dans l’esprit de Riley, la note do (le C en anglais), première de la gamme majeure, devait servir de métronome, outil de précision qui n’a pas lieu d’être dans la musique africaine dont la structure rythmique relève d’une autre ponctualité, mariant la justesse à l’aléatoire. D’où l’agréable sensation de flottement en spirale que procure cette version. Comme un voyage au bout d’une immobilité atemporelle.
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