On retrouve en frissonnant le folk baroque de l’Américain Father John Misty, ancien Fleet Foxes, qui se décrit comme “mi-dictateur d’opérette, mi-danseur folklorique”. Renconte, critique et écoute.
Sur la pochette de I Love You, Honeybear, son deuxième album sous le nom de Father John Misty, Josh Tillman est représenté en Enfant Jésus empoignant le sein d’une madone, entouré d’animaux bibliques et démoniaques, de lapins qui valsent et d’un orchestre mariachi. Un Christ de folklore peint sous haute inspiration d’une mystique aztèque recolorée aux hallucinogènes. Ce beau gosse barbu affiche 33 ans à l’état civil, est-ce un hasard ?Plus troublante encore est cette aptitude, chez lui, à ressusciter régulièrement depuis maintenant une décennie.
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Stakhanoviste
Quand on fit sa connaissance avec Minor Works, en 2006, il avait déjà gravé deux albums confidentiels sous le nom abrégé de J. Tillman, et il en ajoutera trois autres sur l’étagère extensible du folk passionnel US, noyé quelque part entre Dylan et Bonnie ‘Prince’ Billy. En parallèle à ce stakhanovisme solo, on le localisait entre 2008 et 2012 derrière les fûts tamisés des Fleet Foxes, cousins évidents de Seattle qu’il avait rejoints par l’entremise de la soeur du leader, Robin Pecknold, avec laquelle il était alors en affaire.
Une (double) rupture avec les renards plus loin, c’est donc en personnage fantasque – “mi-dictateur d’opérette, mi-danseur folklorique” selon sa propre définition – qu’il réapparaissait en 2012 avec le merveilleusement enfumé Fear Fun, premier volet des aventures prometteuses de Father John Misty.
“J’ai longtemps tâtonné pour trouver le bon véhicule qui irait idéalement avec ma voix, précise Josh. Je suis finalement arrivé à ça, à ce nom ridicule qui permet toutes les fantaisies, y compris celle d’être sérieux. C’est paradoxalement à l’époque où je publiais des disques sous le nom de J. Tillman que j’avais le plus l’impression de jouer un personnage qui m’était étranger. Depuis Fear Fun, je me sens parfaitement en phase, en tant que songwriter, avec celui que je suis dans la vraie vie.”
Espoir
C’est d’autant plus vrai avec I Love You, Honeybear, qui met en scène de façon parfois très réaliste sa relation amoureuse avec la belle Emma, son épouse photographe avec laquelle il forme un modèle de couple hippie-chic que l’on croirait issu des fantasmes d’un directeur artistique de revue de mode. C’est d’ailleurs Emma qui l’a encouragé à aller vers plus de sentimentalisme, à faire tomber le masque sardonique qu’il arborait autrefois, à ne pas être effrayé par la beauté.
“Quand nous nous sommes rencontrés, nous étions deux êtres assez nihilistes, avec assez peu de foi en l’humanité. Nous avons réussi à domestiquer nos sentiments, à développer une forme de romantisme que l’on s’interdisait auparavant. Même si j’ai écrit la chanson I Love You, Honeybear en pensant au Titanic, comme une célébration grandiose de la fin du monde.”
C’est elle qui ouvre le bal, avec son piano ankylosé et ses cordes qui vont et viennent comme des vagues sur des icebergs, et cette mélancolie sentimentale qui rappelle l’album de Dion produit par Phil Spector, Born to Be with You.
Projet à deux
Comme sur le précédent, son révélateur spectorien à lui se nomme Jonathan Wilson, le prodige californien qui déploie encore une fois tout un chapiteau d’arrangements fastueux, en préservant toutefois la vibration intime de ces chansons précieuses.
“J’entre généralement en studio avec des idées confuses et Jonathan a la mission délicate de les rendre claires, de leur donner vie quand dans ma tête, elles n’existent qu’à l’état d’embryons. D’ailleurs, je suis formel, je ne veux plus faire des disques qu’avec lui. C’est non seulement un ami, mais c’est devenu au fil du temps comme une extension de moi-même.”
Ces deux admirateurs des grands songwriters et arrangeurs naturalistes des seventies, les Jimmy Webb ou Jack Nitzsche, osent aller planter leurs semences sur ces terres sacrées, et le résultat n’a rien d’une profanation. Bien au contraire, en variant les angles entre de pures chansons à crever le coeur et d’autres qui convoquent des ambiances plus légères (les décorations mariachis de Château Lobby #4, l’electro incongrue de True Affection), les deux J. sont parvenus aux mêmes résultats baroques que leurs maîtres. Parfois en croisant même les effets, comme cette poignante ballade au piano, Bored in the USA, parasitée par des rires enregistrés comme s’il s’agissait d’une parodie de Late Show.
http://www.youtube.com/watch?v=hIFrG_6fySg
“Il y a quelques années, raconte sans précaution Tillman, j’ai vécu une expérience fabuleuse avec des champignons, ce qui m’a permis de voyager très loin dans mon subconscient. Ce projet de Father John Misty découle en partie de ça, c’est pourquoi il est à la fois sérieux et burlesque. Il n’a rien à voir en revanche avec un quelconque traumatisme d’enfance lié à la religion (Josh est issu d’une famille d’évangélistes anglicans assez hardcore – ndlr) comme on me le demande fréquemment.”
Qu’importe les chemins – spirituels ou bassement matériels, voire sensuels – qu’il emprunte : sur ce second volet de ses aventures, ce Father nous mène encore une fois aux cieux.
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