Après le magazine américain Entertainment Weekly, nous dressons à notre tour la liste subjective des 50 films que vous n’avez peut-être pas vus et vous devriez voir. Le principe est de choisir parmi des oeuvres qui n’ont pas totalement fait consensus, ou qui n’ont pas rencontré leur public, ou qui sont moins connues que d’autres oeuvres du meme auteur. Des trésors plus ou moins cachés des deux premières décennies du XXIeme siècle.
La semaine dernière, le magazine Entertainment Weekly publiait son top 50 de films peu ou pas vus qui mériteraient (re)considération. La liste était extrêmement discutable : ainsi, seuls deux films français y figuraient, dont l’académique Il Y a longtemps que je t’aime de Philippe Claudel. La liste avait le mérite de montrer en creux l’idée du cinéma d’auteur mondial que se fait un magazine culturel populaire américain : une vision très ethnocentrée et assez peu au fait des cinématographies étrangères. Cela nous a incité à dresser notre propre liste de ces films peu vus par le public et qui mériteraient amplement une deuxième chance. La liste qui suit sera évidemment discutable elle aussi, comportant choix contestés et oublis invraisemblables selon la subjectivité de chacun. Précisons néanmoins les quelques critères qui ont présidé à nos choix, hormis notre goût : nous nous sommes limités aux années 2000, nous avons opté pour un seul film par cinéaste. Enfin, il ne faut pas perdre de vue qu’un film « peu vu » de Tarantino sera toujours beaucoup plus vu qu’un film « peu vu » (voire bien vu) d’Apichatpong Weerasethakul. Le listing qui suit prend donc en considération des films au box-office décevant en fonction des audiences habituelles de leurs auteurs respectifs. En route pour ce top 50 (du 50ème au winner) et bonne lecture !
50 – Un château en Italie de Valéria Bruni-Tedeschi (2013)
L’actrice franco-italienne continue sa bio fictionnée, faisant jouer des membres de sa propre famille, entre drame et comédie.
49 – Faut que ça danse ! de Noémie Lvovsky (2007)
L’humour de Lvovsky à son plus inventif, loufoque et gonflé, comme en témoigne une scène de cauchemar hénaurme avec Hitler.
48 – Dark water de Hideo Nakata (2002)
La puissance anxiogène d’un petit maître un peu oublié du thriller nippon.
47 – Black book de Paul Verhoeven (2006)
L’occupation en Hollande vue par le regard sexualisé et politiquement incorrect de l’enfant terrible du cinéma local, de retour en son pays.
46 – Inside job de Charles Ferguson (2010)
Le doc qui explique tout limpidement sur la finance, la crise financière et l’état du monde.
45 – Speed racer des soeurs Wachowski (2010)
Avec ce film de courses de bagnoles, les Wachowski foncent à donfe dans le numérique et l’abstraction digitale.
https://youtu.be/DTXFknz4J88
44 – Trouble everyday de Claire Denis (2001)
Claire Denis pose son regard ld’auteure formaliste sur le genre gore. Sauvagement splendide.
43 – The smell of us de Larry Clark (2015)
Regard investi d’une forte charge sexy et sexuelle sur la jeunesse parisienne, ce qui n’a pas suffit à convaincre le public français.
42 – Mysterious Skin de Gregg Araki (2004)
Habituellement punk & sex & drugs, le cinéma d’Araki se tourne poétiquement vers l’enfance. Doux, aiguisé, inspiré.
41 – La Légende de Ron Burgundy d’Adam MacKay (2004)
Four absolu en France pour cette comédie inégale mais hilarante ou Will Ferrell incarne un Pujadas d’outre-Atlantique.
40 – Bug de William Friedkin (2007)
Grand retour de Friedkin avec ce thriller haletant et stylistiquement inspiré.
39 – Enter the void de Gaspar Noé (2010)
Tentative de film sensoriel total, sorte d’équivalent ciné de la musique techno. Une ambition formelle unique qui peine à séduire un large public français.
38 – Oslo 31 août de Joachim Trier (2011)
Trier se fait un prénom avec ce portrait hyper sensible et délicat d’un trentenaire dépressif.
37 – L’Homme au bain de Christophe Honoré (2011)
Ce portrait d’un gay appartient à la veine « expérimentale » d’Honoré, d’où probablement son faible impact au box-office.
36 – Le temps qui reste de François Ozon (2005)
Déchirante chronique des derniers jours d’un trentenaire qui se sait condamné par le sida. Un Ozon sobre qui attire moins que quand il turbine des comédies comme 8 femmes ou Potiche.
35 – La loi de la jungle de Antonin Peretjatko (2016)
Echec injuste pour cette comédie d’aventure désopilante qui rappelle autant le burlesque primitif que l’âge d’or des comédies hollywoodiennes ou le ton décalé de l’humour contemporain.
34 – Dharma guns de FJ Ossang (2011)
Comme tous les films en forme de cinéma rêvé d’Ossang, sa beauté est inversement proportionnelle à son (in)succès.
33 – Un lac de Philippe Grandrieux (2008)
Comme Ossang, Grandrieux est un franc-tireur à l’univers unique. Un Lac est aussi beau que ses autres films mais moins brutal et anxiogène, plus serein même si ce n’est pas le terme exact s’agissant de Grandrieux.
32 – No home movie de Chantal Akerman (2015)
Magnifique de simplicité et de puissance émotionnelle, le film qui met un point final superbe et tragique à la filmo et à la vie de cette cinéaste fondamentale et trop peu vue.
31 – J’ai tué ma mère de Xavier Dolan (2009)
Le moins vu des films de Dolan est aussi celui qui signe l’entrée fracassante d’un surdoué dans le paysage cinématographique mondial.
30 – Après mai d’Olivier Assayas (2012)
Echec injuste pour cette chronique sensible et juste de la mélancolie post-soixante-huitarde.
29 – Les fantômes d’Ismael d’Arnaud Desplechin (2017)
On parle ici de la version originale, du director’s cut, peu vu car peu distribué : un tourbillon d’inventivité tragico-burlesque, ou comment réinventer sa biographie en la passant à la moulinette de tous les genres du cinéma.
28 – La Frontière de l’aube de Philippe Garrel (2008)
Sifflé à Cannes et ne cartonnant pas au box-office malgré Louis Garrel et Laura Smet, un superbe film d’amour, de nuit et de fantôme.
27 – Vous n’avez encore rien vu d’Alain Resnais (2012)
Faible score pour un Resnais. Celui-là est une oeuvre testamentaire où le grand cinéaste expérimental et populaire met en scène sa propre mort. Il décédera en effet peu d’années après, non sans avoir signé un ultime film.
26 – Les plages d’Agnès d’Agnès Varda (2008)
Plutôt que mettre en scène sa mort, la grande copine de Resnais met en scène sa vieillesse en pétant de vie et d’invention, mais avec moins de succès que Les Glaneurs et la glaneuse.
25 – Hacker de Michael Mann (2015)
Film mal aimé du grand esthète américain,tant au box-office que par la critique. Difficile à comprendre tant ce film regorge de moments manniens splendides.
24 – Memory of murder de Bong Jon-ho (2003)
Suspens et comédie, le cocktail gagnant du Coréen qui s’affirmera ensuite comme une des valeurs sûres de l’auteurisme international.
23 – Tokyo sonata de Kiyoshi Kurosawa (2008)
Le retour de Kusosawa devant le public français s’était soldé par un résultat mitigé malgré cette chronique cinglante et précise de l’humiliation que provoque le chômage, entre social, mélo et fantastique noir.
22 – Platform de Jia Zhang-ké (2000)
Film moins vu car plus austère, l’histoire récente de la Chine et du maoïsme vue à hauteur d’homme.
21 – Funny people de Judd Apatow (2009)
Echec pour cette comédie douce-amère, aussi drôle que mélancolique. Apatow n’a jamais vraiment cartonné chez nous.
20 – Boulevard de la mort de Quentin Tarantino (2007)
Ce film de poursuite et cascades teinté de féminisme a bien sûr été vu, mais c’est l’un des plus faibles scores de notre homme kwentine en France.
https://www.youtube.com/watch?v=OiqLaKXONQs
19 – Shotgun stories de Jeff Nichols (2007)
Le premier et peut-être meilleur film de Nichols, mais le moins vu car distribué par une petite boite, ASC, à laquelle on rend hommage pour ses découvertes pointues, comme Hong Sang-soo ou donc NIchols.
18 – Pasolini d’Abel Ferrara (2014)
Ferrara n’attire plus de public nombreux, ce qui est dommage pour ce portrait poignant du dernier jour de Pasolini, un film où le terrible Abel est d’une sobriété admirable.
17 – Va et vient de Joao Cesar Monteiro (2002)
Le film-testament de ce génie lisboète, cinéphile, érotomane, solitaire, diabolique, et peut-être un peu fou. Il faut vraiment le (re)découvrir.
16 – L’Ornithologue de Joao Pedro Rodrigues (2016)
Encore un fou génial du Portugal, mais d’une folie plus acceptable socialement que celle de Monteiro, ce qui n’amoindrit en rien la radicalité poétique de son cinéma.
15 – Le Trésor de Cornéliu Porumboiu (2015)
Ce trésor est pour le coup un vrai trésor caché, un sommet de drôlerie, d’absurdité prélevée dans le réel et de jolie morale de conte. Peut-être le plus intéressant des Roumains, Porumboiu est à (re)voir d’urgence.
14 – Nocturama de Bertrand Bonello (2015)
Trop complaisant avec le terrorisme pour les uns, trop méprisant envers la lutte armée pour les autres, c’est peu dire que ce film n’a pas séduit grand monde après le succès de Saint-Laurent. Il est pourtant stylistiquement superbe, politiquement dans le coeur des inquiétudes contemporaines, et sans doute à (re)voir maintenant, à froid.
13 – Under the skin de Jonathan Glazer (2013)
Superbe conte sur les humains-mutants de demain (d’aujourd’hui ?), avec une Scarlett Johansson mise à nue mais désérotisée. Un succès relatif mais moindre qu’attendu pour cet ovni qui redéfinit tant de choses.
12 – Rubber de Quentin Dupieux (2007)
Cette histoire de pneu serial-killer n’a pas attiré un public aussi nombreux que Steak. Le surréalisme pince-sans-rire de Dupieux est génial mais de nature à laisser du monde à quai.
11 – Millenium mambo de Hou Hsiao-hsien (2001)
On aurait pu choisir aussi bien The Assassin, tant ces films (comme ceux d’Ossang) exsudent une beauté inversement proportionnelle à leur (in)succès. A la beauté s’ajoutent ici la mélancolie urbaine et la modernité envoûtante d’une mise en scène qui ne souligne rien mais capte tout.
10 – Inland empire de David Lynch (2006)
Gros échec commercial pour ce délire lynchien assez abscons sur le plan du récit et du propos mais riche en visions fortes et bouffées étranges de cinéma inspiré. Du grand Lynch malade à revoir à froid.
9 – A History of violence de David Cronenberg (2005)
Merveille de thriller sec et coupant, ce film est aussi une étude sur la sexualité d’un couple « ordinaire » et sur la part obscure des pères de famille. Ou comment fondre un genre canonique dans ses obsessions singulières.
8 – A serious man de Ethan et Joel Coen (2009)
Sujet voisin du Cronenberg (la faillite des pères) mais vu par la lorgnette ultra-personnelle des frangins : judéité problématique, américanité toute aussi problématique, humour à froid désopilant, profondeur métaphysique et foule de questions sans réponse. Une comédie talmudique démente qui n’a malheureusement pas fédéré les masses.
7 – Les mille et une nuits de Miguel Gomes (2015)
Le génie serait-il consubstantiel aux cinéastes portugais ? Après Monteiro ou Rodrigues, voilà le facétieux Gomes, qui enroule son pays dans une saga brillante et casse-cou où se bousculent documentaire, film social, cinéma politique, comédie, burlesque, mélodrame dans un joyeux bordel ordonné et toujours surprenant.
6 – The limits of control de Jim Jarmusch (2009)
Le thriller et le road-movie revus et corrigés par le dandysme ultra cool du grand Jim. Mystère, laconisme, action au ralenti, contemplation : superbe, mais déserté par le public.
5 – Adieu au langage de Jean-Luc Godard (2014)
Le vieux sage (ou singe) bouge encore, et mieux que beaucoup de jeunes loups. JLG s’empare ici de la 3D avec un impact maximal pour une nouvelle réflexion sur le couple, l’état du monde et le cinéma à l’heure du digital. Pas toujours limpide mais hyper stimulant et assurément à revoir.
4 – Gerry de Gus Vant Sant (2002)
Bien vu par la critique mais relativement boudé par le public (si on compare au score d’Elephant, son film cousin), Gerry demeure un sublime geste de cinéma où Van Sant fait le plus avec le moins, joignant sans effort le concret et l’abstrait.
https://www.youtube.com/watch?v=L6Gfr0OJODI
3 – Syndromes & a century d’Apichatpong Weerasethakul (2006)
Le moins vu et moins célébré des films du Thailandais alors qu’il est aussi beau, puissant, mystérieux et chamanique que les autres. Peut-être même plus.
2 – 2046 de Wong Kar-wai (2004)
Le film qui a déçu le nombreux public de ITMFL alors qu’il est tout aussi beau, déchirant, et plus radical formellement. Une succession de lieux fermés, de femmes sublimes, de robes et de parures éblouissantes, d’amours non réciproques ou non synchrones, à travers lesquels le maître de Hong Kong saisit les dits et non-dits, les pleins et les vides, l’advenu et le non advenu mais mentalement projeté des existences de ses personnages. Sublime, forcément sublime.
1 – Holy motors de Leos Carax (2012)
And the winner is… qui d’autre que notre très cher Leos. Tout est grand ici. Le film évidemment, fontaine d’invention, d’émotion, d’humour, de captation de l’état contemporain du cinéma, des images et du monde. Et les premières scènes, avec cette manière géniale dont Carax signe son grand retour après des années d’absence : il joue lui-même un somnambule qui perce des murs pour se retrouver dans une salle de cinéma. C’est le premier moment bouleversant d’un film qui en comptera quelques autres (Kylie Minogue et Denis Lavant dans une Samaritaine fantomatique dominant le Pont Neuf). Aux Inrocks, nous ne pouvons pas non plus oublier l’entretien exclusif et sublime qu’il nous avait accordé en 1991, notre première couve cinéma ever. Le voir revenir vingt-et-un an après mettre une claque au festival de Cannes n’a fait que décupler l’émotion ressentie devant Holy Motors. 121 000 spectateurs sont ensuite venus au rendez-vous : c’est à la fois beaucoup et trop peu. Alors aujourd’hui, demain ou dans un mois, le temps est venu de faire vrombir à nouveau les sacrés moteurs.