L’auteur de Marguerite et A l’origine prolonge sa réflexion sur l’aveuglement et l’imposture dans un thriller tendu.
Dans l’idée d’ “apparition” coexistent les connotations religieuse et cinématographique. C’est sans doute sur cette résonance entre ce que vit Anna, son personnage, et ce qu’il recherche lui en tant qu’artiste que joue Xavier Giannoli. Mais on entre d’abord dans le film par l’intermédiaire de Jacques, grand reporter dont le métier est à l’opposé de la sphère du surnaturel, que le Vatican convoque pour enquêter sur une apparition survenue dans un village de montagne en France. Incarné par la solidité terrienne et l’esprit ouvert de Vincent Lindon, Jacques sera tout au long du film le double du cinéaste et le représentant du spectateur sceptique mais curieux – et prêt à suspendre son incroyance le temps d’une fiction.
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La jeune Anna aurait donc aperçu la Vierge Marie. Apparition réelle ? Hallucination délirante ? Mensonge pour exister ? Giannoli ne tranche pas (du moins pas avant la toute fin), suspense oblige, mais en profite pour déployer un certain nombre de thèmes tournant autour du phénomène. Ainsi apprend-on que les autorités ecclésiastiques ne goûtent guère ce genre de “miracle”, contrairement à ce que l’on pourrait penser, car selon la doctrine chrétienne en vigueur, “la foi n’a pas besoin de preuves”. On imagine aussi que l’Eglise n’a pas envie d’être débordée par ses ouailles, ni par des opportunistes, prêtres dévoyés ou autres “marchands du Temple”, que Giannoli regarde ici d’un œil impavide : disneylandisation sauvage du lieu de la supposée apparition, commercialisation de statuettes de la Vierge, agitation de téléréalité…
L’ère du spectacle intégré, de l’exploitation de la crédulité et de la marchandisation de tout n’épargne évidemment pas les religions et c’est ici que le film rejoint les obsessions de toujours de l’auteur. Quelle que soit l’explication de cette “apparition”, Anna, dans sa croyance et sa soudaine célébrité, est une cousine de l’ingénieur d’A l’origine qui bâtissait une autoroute ne menant nulle part, du quidam de Superstar qui devenait célèbre pour rien ou de Marguerite, chanteuse lyrique nulle qui croyait être bonne grâce aux mises en scène de son mari. La croyance, le doute, l’imposture, l’emballement du spectacle et du commerce sont décidément les grands sujets de Giannoli, un perpétuel motif d’étonnement et d’inspiration.
S’il ne croit sans doute pas aux apparitions, il croit au cinéma et à sa capacité à observer sans idée préconçue. Il regarde Anna sans la juger, évitant tout autant le mépris que l’adhésion, tentant simplement, comme Jacques, de percer son mystère. Et nous, spectateurs ne croyant pas à l’apparition de la Vierge, sommes tout autant disposés à croire à la croyance d’Anna comme en n’importe quelle bonne fiction. Anna, c’est Galatea Bellugi (déjà vue dans les très bons A 14 ans ou Keeper, lire “Nouvelle tête” p. 22), petit brin de fille au visage à l’ancienne mangé par de grands yeux qui se perdent dans l’extase. La véritable apparition du film, phénomène pour le coup fréquent au cinéma, c’est elle.
L’Apparition de Xavier Giannoli (Fr., 2017, 2 h 17)
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