Dernier tour de piste pour le légendaire Buena Vista Social Club. Critique et écoute.
L’histoire retiendra que c’est une poignée de main échangée entre Barack Obama et Raúl Castro qui a officialisé le réchauffement des relations américano-cubaines après plus de cinquante ans de fâcherie diplomatique, oubliant probablement le rôle involontaire mais significatif joué par le Buena Vista Social Club dans ce long processus de décrispation. La sortie d’un ultime album du mythique all stars, composé d’un reliquat d’inédits et de captures live, tombe à pic pour nous en rappeler l’importance.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Cuba
Il y a une vingtaine d’années, la loi Helms-Burton interdisant toute transaction financière entre les deux pays vient durcir un embargo qui asphyxie l’économie de l’île depuis 1962. Au même moment, le producteur anglais Nick Gold, du label World Circuit, conçoit le projet de réunir des musiciens maliens et cubains dans les studios Egrem à La Havane, où une bonne partie de l’histoire musicale du pays a été gravée. Faute d’obtenir leurs visas dans les délais, les Africains font faux bond, plaçant Gold dans l’obligation d’improviser avec son ami le guitariste Ry Cooder un autre disque auquel vont participer quelques retraités tombés dans l’oubli, comme le pianiste Rubén Gonzáles, les chanteurs Compay Segundo et Ibrahim Ferrer, vétérans auxquels se joignent la diva Omara Portuondo et le guajiro Eliades Ochoa. On connaît la suite : l’album se vend à neuf millions d’exemplaires, les membres principaux du Buena Vista enchaînent enregistrements solo et concerts dans des salles de prestige un peu partout dans le monde. Celui donné au Carnegie Hall de New York filmé par Wim Wenders pour un documentaire dix-huit fois primé donne alors à ce mot, “réchauffement”, une portée autant thermique que géopolitique…
Depuis, nombre de héros de cette histoire improbable sont morts. Ibrahim à 78 ans, Compay à 96, Ruben à 84. Morts mais heureux d’avoir été à la fête pendant leurs dernières années. Disparu aussi, mais trop jeune, le conguero Anga Díaz, dont la pure science rythmique et vibratoire a trouvé un prolongement à travers ses deux filles jumelles, Naomi et Lisa, qui animent aujourd’hui le duo Ibeyi. Restent le guajiro à l’éternel Stetson Elíades Ochoa et, quoique diminuée, la reine Omara qui, respectivement âgés de 69 et 85 ans, se sont lancés dans une tournée d’adieux.
Suave et élégant
Les treize morceaux compilés par Nick Gold pour cet album d’inédits rassemblent ainsi une dernière fois cette troupe d’aïeux merveilleux autour de chansons dont les modes – son, guajira, boléro, danzón… – parcourent le riche nuancier des musiques populaires cubaines avec un luxe instrumental devenu rare, permettant aux noms de quelques-uns des pères fondateurs de resurgir. Quand Ibrahim Ferrer chante Bruca manigua de l’immense Arsenio Rodríguez ou Como fue dans le style suave du bolériste Benny Moré, quand Rubén González s’abandonne au piano à l’impromptu Como siento yo à la manière du grand Ernesto Lecuona, renaît tout un monde fait d’élégance et de sensualité appelant un vocabulaire aux adjectifs surannés tels que “capiteux”, “caressant”, “langoureux”.
C’est presque à la résurgence d’une civilisation disparue que nous assistons, où la délicatesse des sentiments rendait possibles des chansons comme le célèbre Lágrimas negras de Miguel Matamoros. Interprété ici par Omara, ce standard narre l’histoire d’un homme souhaitant du bonheur à la femme qui vient de le quitter. Sans doute dans l’espoir secret d’en regagner les faveurs. Le comble de la diplomatie.
{"type":"Banniere-Basse"}