Après l’étincelant Cabinet of Curiosities, Jacco Gardner a frôlé la panne créative. C’est en se ressourçant dans la musique cinématique qu’il est parvenu à dessiner avec Hypnophobia un cadre libre et beau pour les vagabondages mentaux. Rencontre et critique.
Un adage dit que “le détour invite au séjour”. Des détours, le premier album du jeune Néerlandais Jacco Gardner en a fait des centaines, jusqu’à la belle déraison. En plongeant sa tête pleine de songes et son songwriting surdoué dans le psychédélisme sombre ou fleuri des années 60 et 70, Cabinet of Curiosities était une très précieuse invitation aux balades mentales alambiquées. Génie déclaré, “nouveau Syd Barrett”, le jeune homme a en conséquence été invité à faire autant de détours que son album, des voyages plus concrets cette fois.
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Rat de laboratoire
Gardner a ensuite tourné, beaucoup, à travers le monde. Jusqu’à perdre le contact avec son séjour favori, ce studio solitaire où, patiemment, il avait fait croître les arabesques folles de ses explorations rêveuses.
“Mon album est sorti, et j’ai commencé à enchaîner les concerts, précise-t-il. J’en ai fait, presque sans m’arrêter, pendant plus d’un an. Ca m’a empêché de travailler en studio. C’est pourtant ce que je préfère faire, je suis un rat de laboratoire. Soudainement, je n’étais plus un songwriter, j’étais un performeur : il m’a fallu m’adapter, apprendre beaucoup de choses pour pouvoir l’être dans de bonnes conditions. Je devais jongler avec mes instruments et avec leurs réglages, me souvenir de tout, contrôler mon chant, mes effets. Je devais aussi apprendre à bien me comporter sur scène, à parler aux gens, à rendre le spectacle agréable. Tout ceci, tout d’un coup, a été trop pour moi.”
Trop pour lui au point d’étouffer ses vagabondages cérébraux, de clouer au sol ses inspirations cosmiques, trop pour lui au point de sombrer dans la paralysie créative : la concrétisation même du fameux “second album syndrom”.
“J’ai eu un moment de vrai pessimisme. Je me suis senti très perdu, je n’avais pas écrit depuis longtemps et je n’étais plus sûr de savoir encore le faire. Les morceaux de Cabinet of Curiosities existaient, pour la plupart, des années avant leur enregistrement : j’avais mis huit ans pour écrire ces douze chansons. Je n’avais jamais écrit un album en un an, ce que j’ai dû faire pour Hypnophobia. ça me paraissait insensé et ça m’a bloqué. J’en suis arrivé à un point où le choix était simple : tout abandonner ou faire les choses. Puis j’ai écouté beaucoup de musique, j’ai essayé, et c’est revenu.”
Bande-originale
Outre la nourriture que les voyages qu’il a effectués tout autour du globe ont offert à son âme d’explorateur fantasmatique (“Chaque endroit sur terre a un lien particulier à quelque chose d’intangible, renferme des mystères qui n’ont pas encore été percés et des humeurs qui n’ont pas été explorées : ils restent avec moi et s’infiltrent dans ma musique”), le garçon cite dans le désordre, comme muses de la renaissance de son inspiration, Duncan Browne, Mort Garson, Bruce Haack, le krautrock et Neu! en particulier, ou The Sallyangie, groupe d’acid-folk que Mike Oldfield avait formé avec sa sœur. Il cite également beaucoup de compositeurs ayant écrit par et pour l’image, ce qui explique sans doute pourquoi, plus vague, plus imagé que le précédent opus, Hypnophobia ressemble tant à la bande originale d’un énigmatique long métrage dont il reste à construire la narration.
François de Roubaix, Ennio Morricone, les deux Piero Umiliani et Piccioni, la bande-son de l’horrifique Suspiria de Dario Argento par Goblin l’ont ainsi aidé à rouvrir la porte des rêves. Comme la BO du surréaliste et mythique Valérie au pays des merveilles par Luboš Fišer, également citée et inspiration majeure, autrefois, pour Broadcast. Pas un hasard donc si une partie d’Hypnophobia pourrait, pour les cœurs toujours en deuil, combler le vide abyssal laissé par le duo depuis la mort de Trish Keenan. Et encore moins un hasard si Julian House, dont le Focus Group avait épaulé les Anglais sur le cinématique, ésotérique et littéralement fantastique Broadcast and The Focus Group Investigate Witch Cults of the Radio Age, s’est chargé des très beaux visuels de l’album du Néerlandais.
Envolée
Moins clairement ou directement référencé que son prédécesseur (“Il y a une plus grande combinaison entre les 60’s et les 70’s, quand les deux types d’influences étaient plus nettement séparés sur Cabinet of Curiosities”), moins direct ou brillant au premier abord malgré quelques imparables pépites pop kaléidoscopiques (Another You, la primesautière Brightly, Find Yourself), Hypnophobia est également plus libre .
Avec quelques titres aux lignes soniques plus abstraites (les tiroirs et contre-pieds multiples du merveilleux morceau-titre, le kraut multicolore de Before the Dawn, les contemplatives Face to Face ou All Over), Hypnophobia offre ainsi un beau plan d’évasion à ceux qui cherchent à quitter la terre ferme. Chacun devra en revanche, cette fois, imaginer son propre scénario.
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