Avec « Léviathan », un premier album qui n’a pas peur de l’inconnu, le jeune Français donne une leçon de folie à ses contemporains. Rencontre, critique et écoute.
Flavien Berger plie un bout de papier sur lequel s’étale un circuit d’encre conductrice. Il replace la pince crocodile qui relie le tout à un ordinateur, où une interface traduit la manipulation de ce bricolage en modulations sonores. A travers des boucles enregistrées et quelques mouvements du doigt, une nouvelle matière se crée : que la musique soit. Nous sommes le 14 avril à l’Ecole nationale supérieure de création industrielle, dans le XIe arrondissement de Paris. Flavien anime un workshop là où il a lui-même passé sept années à étudier le design sonore.
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Changement d’ambiance : deux semaines plus tôt, c’est en fermeture du festival Panoramas, à Morlaix, qu’on croise le garçon qui alors se lâche entre ses machines, improvisant des paroles fiévreuses et sautant béatement comme le performeur dada qu’il est. Les étudiants de Flavien Berger ont-ils déjà assisté à un de ses concerts ? Mystère.
Trois bonnes raisons d’écouter Flavien Berger par lesinrocks
Une démarche expérimentale
A 28 ans, le jeune prof mène une double vie et sort un premier album qui donne la leçon à toute la nouvelle scène française. Quelques mois seulement après Glitter Gaze et Mars balnéaire, deux ep déjà impressionnants de maîtrise et de liberté, il se lance donc dans l’aventure attendue du format long – un exercice finalement pas si éloigné des longues déambulations kraftwerkiennes auxquelles il nous a habitués. Car Flavien Berger se place résolument dans une démarche expérimentale, rejetant en bloc les évidences de la pop et des musiques électroniques tout en s’amusant avec les codes instaurés. Il explique :
“Ce qui m’inspire – que ce soit dans la musique, le cinéma ou la littérature –, c’est quand l’auteur questionne le format, quand il ne prend pas pour acquis les modalités de création. On ne consomme pas une œuvre aujourd’hui comme il y a vingt ou trente ans – il faut prendre ça en compte. Quand je lis, par exemple, j’aime être ramené à ma condition de lecteur au moment où j’avais oublié que j’étais en train de lire.”
Un album monstrueux
Ce dépassement de l’homme par l’œuvre, c’est l’une des idées contenues dans le titre de cet album, Léviathan, qui s’empare du mythe marin pour illustrer l’enchaînement et l’enroulement des sons, ainsi que la recherche plus abstraite d’un horizon créatif en mouvement.
“Le Léviathan est un personnage qui regroupe plein d’éléments de la réalité, un peu comme le Bigfoot. Le mythe est né d’animaux que les hommes ne reconnaissaient pas ; il est devenu le symbole de la peur de l’inconnu. Dans l’album, il représente un ailleurs, une présence si grande qu’on ne peut pas la voir, comme c’était le cas de la planète Mars sur mon dernier ep.”
Léviathan est effectivement une monstruosité : chaque morceau est un voyage en soi, une fulgurance singulière, un univers qui se déploie selon ses propres règles et son propre dessein esthétique. Et pourtant, l’album s’écoute comme se regarde un film, dans la continuité chapitrée d’une vision globale, d’une histoire racontée dans un ordre précis. Mais derrière les sculptures sonores tarabiscotées, aussi élaborées soient-elles d’un morceau à l’autre, il y a une légèreté et une malice, voire un humour, une potacherie qui empêchent Léviathan de tomber dans les clichés de l’album-concept pompeux et de la musique expérimentale inécoutable.
Rendez-vous dans le futur
Référence possible à Hobbes autant qu’à Pokémon, Léviathan est ainsi traversé par le thème de la fête foraine, que Flavien Berger s’est imposé puis a traduit en musique de façon littérale (sur le single La Fête noire notamment) autant qu’en amont de la composition. Certains morceaux ressemblent donc à des trains fantômes effrayants (Bleu sous-marin, Inline Twist), pendant que d’autres sont de vertigineuses montagnes russes fonçant vers l’infini. C’est par exemple le cas de 88888888 ou encore Léviathan, qui donne son titre à l’album et le clôt en un dédale de pensées en mouvement.
“Léviathan a d’abord duré six minutes, puis dix, puis douze, puis quinze… Je croyais toujours avoir trouvé le climax du morceau, mais il m’emmenait chaque fois plus loin. C’est devenu le monstre final de l’album, comme un boss de jeu vidéo.”
Pour le reste, Flavien Berger évoque de petits moments de vie : un rendez-vous manqué, vécu comme un naufrage (sur Vendredi, titre inspiré du roman de Tournier), ou encore les souvenirs ensoleillés d’un appartement à Bruxelles (dans Rue de la Victoire, qui ne ferait pas tache sur le dernier album de Sébastien Tellier). Un univers créatif pas comme les autres, qu’on n’a pas fini d’explorer dans le futur.
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