Le réalisateur Chris Marker s’est éteint ce lundi, à 91 ans.
Il y a quatre ans, Chris Marker nous avait accordé l’une de ses très rares interviews, sans que nous le rencontrions. A 87 ans, cet homme qui toute sa vie avait fui les appareils photos et les caméras des autres s’était créé une île dans l’univers virtuel Second life. Il nous y avait reçus, répondant à nos questions par écrit, par l’intermédiaire d’un avatar. Que nous avait-il dit ? Qu’il ne se sentait pas artiste : ni photographe, ni cinéaste, ni écrivain. Simplement un artisan, un « bricoleur », disait-il avec une modestie orgueilleuse, se reconnaissant une seule qualité : la curiosité.
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Pour savoir qui était Chris Marker (dont le vrai nom était Christian François Bouche-Villeneuve), il suffit donc de regarder les « objets » qu’il a « bricolés » toute sa vie, qui ont eu souvent l’heur d’influencer beaucoup d’artistes. Compagnon de route d’Alain Resnais, de Georges Franju, de Jacques Demy et d’Agnès Varda (c’est d’ailleurs la fille de ces deux derniers, Rosalie, qui nous annonça sa mort ce matin), il avait réalisé des films à nuls autres pareils. Même quand ils parlaient de notre temps, l’onirisme y tenait une grande place.
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Son premier film, Les statues meurent aussi, coréalisé avec Alain Resnais (en 1953), ou Le fond de l’air est rouge (1977), deux de ses œuvres les plus connues, révélaient son goût pour l’histoire, avec un regard politique acerbe et sans concession.
http://www.dailymotion.com/video/x51gwf_le-fond-de-l-air-est-rouge_tv
Il réalisa en tout une cinquantaine de fictions et de documentaires souvent engagés, dont Dimanche à Pékin (1956), Lettre de Sibérie (1957), Description d’un combat et Cuba Si (1961). Puis vint son film le plus célèbre, La Jetée (1962), entièrement réalisé à partir de photos, dont Terry Gilliam fit un remake, L’armée des douze singes.
http://vimeo.com/27339963
Il tourna ensuite Loin du Vietnam (1967), Le joli mai, À bientôt, j’espère (1968), La Solitude du chanteur de fond (sur Yves Montand, 1974), Le fond de l’air est rouge (1977), Sans soleil (1983), A.K., filmé sur le tournage de Ran, d’Akira Kurosawa (1985), Mémoires pour Simone, réalisé en 1986 en hommage à Simone Signoret, L’Héritage de la chouette (1989), Le tombeau d’Alexandre (1993), Level Five (1997), Le Souvenir d’un avenir (2003), Chat perchés (2004) puis Leila Attacks en 2007.
http://www.youtube.com/watch?v=8tS8i4aHh_Q
Influencé aussi par l’écrivain sud-américain Bioy Casares, l’auteur de L’Invention de Morel, Chris Marker était un voyageur : dans le réel, dans le temps et dans l’imaginaire, qui ne faisaient plus qu’un. Il était de son époque (il se passionna pour toutes les révolutions des années 60, fabriqua seul un CD-ROM génial, Immemory), tout en maintenant avec elle une distance de moraliste, de poète amusé.
Qu’est-ce que mourir pour un homme comme Chris Marker ? A la fin de notre entretien de 2008, il nous avait dit qu’il avait été un chat dans une vie antérieure (il en avait d’ailleurs créé un, Guillaume, qu’il dessinait un peu partout, comme une signature ou un autre avatar). Que sera-t-il dans la suivante ? Qui sait ? A moins qu’il ne se soit retiré sur Second Life, où il regrettait de ne pas pouvoir vivre à longueur de temps. Chris Marker vient d’entrer dans l’éternelle virtualité pour un voyage qu’on lui souhaite sans fin.
Jean-Baptiste Morain
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