Avec un disque complexe, viscéral et rageur, l’Américain et ses musiciens Chang et Bhatia signent un retour fracassant. Rencontre avec celui qui, en novembre prochain, sera à l’affiche de l’édition 2015 du Festival Les inRocKs Philips.
Déjà admiré par une poignée pour ses immenses talents de compositeur sur ses deux premiers albums, At War with Walls & Mazes en 2008 puis We Are Rising en 2011, Ryan Lott a longtemps été un homme discret.
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“Je me voyais comme un chimiste, un laborantin, quelqu’un qui travaille dans l’ombre, derrière des portes closes. J’étais le type qui écrivait pour des ballets, pour des films, pour les autres. Et quand j’écrivais ma propre musique, celle de Son Lux, je la considérais plutôt comme de la musique de chambre. Je la chantais parfois devant un public, mais sans vraiment l’habiter.”
Notez l’utilisation du passé : l’Américain a, depuis, radicalement changé. 2013 a ainsi été, pour le New-Yorkais, l’année d’une tardive mais impressionnante métamorphose. Une mutation intime à laquelle un public de plus en plus large a pu assister au fil des mois, fasciné et admiratif, comme s’il observait une nymphe se transformer en créature surnaturelle.
« Réaliser la puissante connexion que la musique permet »
Peut-être parce que son nom s’est mis à briller un peu plus largement grâce à sa participation à Sisyphus aux côtés de Sufjan Stevens et Serengeti, peut-être parce que la fée pop Lorde a penché sa voix de sirène platinée sur l’un de ses sommets, Easy, le troisième album de Son Lux, sublime et increvable Lanterns, a été accueilli par de très amoureux hourras. Il a été suffisamment bien accueilli pour que la scène ne soit plus pensée comme une annexe morne du home studio du New-Yorkais, suffisamment adoré pour qu’une ample tournée internationale soit programmée.
Pour atteindre sur scène les mêmes sommets magiques, toucher les mêmes étoiles et caresser le même cosmique que les morceaux de Lanterns, Ryan Lott s’entoure alors de deux musiciens, Ian Chang et Rafiq Bhatia. Une nouveauté pour lui, qui provoque une révolution qui frappe concrètement sa conscience lors d’un concert à Berlin, au tout début du glorieux périple qui suivra.
“Il y a eu un moment, pendant No Crimes, où quelque chose de très spécial s’est déclenché en moi. Je chantais le refrain, ‘All you ever wanted, all you’ll ever need, your brand new history, your brand new history’ (“Tout ce que tu as toujours voulu, tout ce que tu peux désirer, ta nouvelle histoire, ta nouvelle histoire”). J’ai réalisé que j’étais en train de regarder 750 Berlinois, que j’étais en train de faire une déclaration forte à cette foule, et une émotion puissante m’a saisie. J’ai soudainement réalisé, pour la première fois, la puissance de la connexion que la musique peut permettre, la magie qui peut exister dans tout cela. Tout faisait sens : j’étais là où je devais être, je faisais ce que je devais faire.”
Des sortilèges inexplicables
La découverte par le jeune homme qu’il n’était pas uniquement un cerveau mais également un corps, une libération intime dont il cherche à transmettre à tous l’énergie rageuse qu’elle lui offre, près de deux cents concerts habités avec une force et une grâce insoupçonnées, l’ivresse inédite de la joie de groupe dont le garçon ne s’est pas lassée, tout ceci à mené à son album suivant, Bones, écrit cette fois en collaboration avec ses deux compagnons.
“Je voulais profiter du moment. C’était une période forte de métamorphose, de découverte, d’énergie, d’amitiés nouvelles. L’idée initiale derrière Bones était de capturer des instants éphémères, de saisir l’énergie qu’il y a dans l’air entre deux éléments avant qu’ils n’entrent en collision, et celle qui se dégage quand deux choses se touchent. C’est ce qui se déroulait entre nous trois.”
Une oeuvre à géométrie variable
Pas question cependant de céder à la tentation de l’album “live”, cette chimère moderne. Avec ou sans ses camarades, qu’il ait ou non découvert ses gènes de performer, Ryan Lott reste un homme-studio, un compositeur trop intelligent pour essayer de reproduire in vitro les sortilèges inexplicables qui ne peuvent se produire qu’in vivo. Bones est ainsi, comme Lanterns, un album qui s’écoute de préférence au casque.
Et qui se vit autant qu’il s’écoute : si Lanterns semblait dérouler ses arabesques dans l’éther comme des météorites enflammant le vide et le froid interstellaire, Bones est, comme l’a voulu son créateur, plus viscéral, plus terrestre, plus charnel, plus coloré que son prédécesseur. Proche parfois de l’Age of Adz zinzin de Sufjan Stevens, Bones se révèle être une grande œuvre à géométrie variable, un album aussi beau que fantasque, aussi sorcier, mystérieux et tortueux qu’immédiatement envoûtant.
Une collection inventive jusqu’à l’infini de symphonies pop brisées, de chansons épiques et tordues, d’expérimentations azimutées et de beautés instantanées, chantées avec une rage sanguine, harmonisées ou arrangées avec autant d’élégance que de folie. Electronique, jazz, acoustique, hip-hop, pop, gospel, r’n’b, tout à la fois parfois, Bones est un disque libre comme l’air ; il est libre comme l’est devenu son génial concepteur.
Concert les 20 et 21 juillet à Charleville-Mézières (festival Cabaret Vert), puis le 13 novembre à Tourcoing, le 14 à Paris (Cigale), le 15 à Nantes et le 17 à Toulouse dans le cadre du Festival Les inRocKs Philips
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