Quand Jirô Taniguchi s’exprimait dans la BD de genre, au milieu des années 80… Avec beaucoup d’humanité, déjà.
On connaît Jirô Taniguchi pour ses mangas épurés, poétiques et contemplatifs, de L’homme qui marche au tout récent Furari, qui suit les déambulations d’un géomètre à Edo. Mais avant de trouver sa voie toute en sensibilité, Jirô Taniguchi s’est aussi adonné au manga de genre. Enemigo, réédition d’une oeuvre de jeunesse de 1984-1985, scénarisée par MAT, mystérieux « groupe d’action scénaristique » selon le dessinateur, s’inscrit dans cette veine.
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Kenichi est un ancien du Vietnam devenu détective privé à New York. Il part sur les traces de son frère, pdg d’un groupe agro-alimentaire, enlevé au Nascencio, un pays fictif d’Amérique latine en pleine modernisation mais troublé politiquement. Plongé dans une jungle truffée de militaires et de dangereux guérilleros, il se retrouve rapidement au coeur d’une intrigue complexe.
Avec ses personnages bien typés – héros dur à cuire, traître, prêtre étrange, jeune fille vengeresse, journaliste cassecou… -, son rythme effréné, ses scènes violentes, ses multiples rebondissements et ses morts en pagaille dégommés à la mitraillette, Enemigo est une BD d’aventures musclée. Comme l’admet Jirô Taniguchi, l’influence occidentale inspiré par la BD européenne, d’Enki Bilal à Attilio Micheluzzi. Interviewé dans un dossier en postface, Vittorio Giardino se dit même honoré et surpris de constater la présence d’évidentes traces de son travail dans Enemigo ! Ce manga puise également ses sources dans les films d’action américains de l’époque (Rambo, comme le souligne justement Baru en postface, mais aussi Indiana Jones), le roman noir US (ce privé nonchalant dans son bureau aux stores vénitiens) ou bien encore les fumetti italiens.
Tous les éléments caractérisant la beauté du style et de l’univers de Jirô Taniguchi sont déjà présents ici. On reconnaît sa parfaite maîtrise de la ligne de fuite, son amour de la nature (dessin minutieux de la jungle) et des animaux – Taniguchi a insisté auprès des scénaristes pour que ceux-ci introduisent dans l’histoire le chien Little John, protagoniste à part entière. Son héros est déjà un homme solitaire et méditatif, souvent perdu dans ses souvenirs. Un Taniguchi de genre, donc, mais toujours humain.
Enemigo (Casterman), scénario MAT, traduit du japonais par Patrick Honnoré, 311 pages, 13,95 €
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