Depuis novembre dernier, l’artiste Popnographe affiche dans les rues de Toulouse sa série intitulée « Girls don’t dress up for boys » (« Les filles ne s’habillent pas pour les garçons »). Cette vingtenaire mélange photos en noir et blanc et paroles de femmes pour dénoncer le harcèlement de rue et le sexisme au quotidien.
“On peut dire tout et n’importe quoi sur les femmes, sans leur demander de dire les choses par elles-mêmes. Finalement, on prend la parole à leur place.” Que ce soit sur son Tumblr ou dans les rues de Toulouse, Laurène (elle préfère garder l’anonymat, ndlr), alias Popnographe, mène le même combat : redonner la parole aux femmes. En se glissant dans la peau de son alter égo artistique, la jeune femme de 28 ans expose régulièrement sur des panneaux d’expression libre, aux quatre coins de la ville rose. On y retrouve en ce moment sa dernière série, intitulée Girls Don’t Dress Up For Boys (« Les filles ne s’habillent pas pour les garçons »), à la sortie du métro Compans-Caffarelli, l’une des stations les plus fréquentées de Toulouse. Le concept ? Afficher des photos de femmes en noir et blanc accompagnées de citations pour dénoncer le sexisme et le harcèlement de rue. Une façon pour elle de replacer dans l’espace public des anonymes qui ont des choses à dire.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
C’est après un stage de 3e chez Dior que Laurène décide de devenir styliste. Cette autodidacte, qui n’a jamais passé son bac et se qualifie elle-même de “sale gosse”, ouvre un concept store dans un quartier fréquenté de Toulouse à seulement 21 ans. Elle y vend alors des fringues vintage qu’elle retouche pour leur donner une seconde vie, ainsi que des créations originales. L’aventure s’arrête il y a deux ans et l’artiste décide alors de se lancer sous le pseudonyme Popnographe. Un nom qu’elle choisit parce qu’il la résume : elle mixe la culture pop, le côté populaire du street art et le souci du détail. Son credo ? Porter un regard critique et décalé sur l’actualité via différents supports comme la photographie et le dessin. Rencontre.
https://www.instagram.com/p/BelVOesFmS1/?taken-by=popnographe
Comment t’est venue l’idée de la série Girls don’t dress up for boys et pourquoi ce nom?
Le harcèlement de rue est un problème auquel j’ai toujours été confrontée et je me suis réveillée un matin avec l’idée de Girls don’t dress up for boys. Ce qui m’intéressait vraiment à la base, c’était la question du vêtement, parce que je pense que c’est encore malheureusement le cœur du problème. Quand je tenais encore ma boutique, de nombreuses clientes me disaient : “Les pièces sont belles mais je ne peux pas porter ça, on va me regarder.” Le harcèlement de rue est tellement lourd qu’on en vient à se restreindre et c’est triste. Le nom de la série m’est venu tout de suite, de façon naturelle. Je souhaitais travailler le noir et blanc parce que ça cache des détails et ça en met d’autres en valeur.
Il n’est pas seulement question de la façon dont les femmes s’habillent mais aussi de sexisme, de stéréotypes de genres…
C’est un projet qui a évolué à chaque entretien. Au début, je n’osais pas poser trop de questions mais, au final, le climat de confiance s’est installé très vite à chaque fois parce que je pense qu’il y avait un besoin d’expression de ces femmes. Là, dans mes grandes ambitions, j’aimerais en faire un livre. Je me dis que ça serait bien d’avoir une trace papier de tout ça.
>> A lire aussi : « Peut-on vraiment mettre fin au harcèlement de rue ? » <<
Comment procèdes-tu ?
Pour réaliser les photos, je dis aux filles de venir dans une tenue dans laquelle elles se sentent bien. Beaucoup m’ont dit qu’elles avaient le sentiment d’être sexualisées en permanence et il y en a même une qui m’a confié : “Quand je prends les transports en commun, je fais la gueule exprès pour ne pas qu’on m’aborde.” Forcément, ça influe sur le moral et l’humeur.
Qui sont les femmes derrière les citations ?
Ce sont des Toulousaines entre 18 et 32 ans. J’essaie de faire en sorte que le panel soit le plus large possible, pour montrer que ça touche toutes les femmes. On discute d’abord du sujet pour les mettre en confiance, et ensuite on va faire les photos. J’ai commencé avec mes amies et mes collègues, et je vais de plus en plus vers des filles que je ne connais pas. En général, les entretiens durent 45 minutes et il y a toujours quelque chose d’important qui en ressort.
« L’idée est aussi d’implanter dans le paysage urbain des images de femmes qui sont autre chose que celles véhiculées par la publicité. »
Qu’est-ce qui te pousse à exposer ces photographies dans la rue ?
Pour cette série, j’ai eu la chance de pouvoir afficher sur des panneaux de chantier. C’était exactement ce que je voulais, ça fait vraiment street exposition. J’avais peur que ce soit recouvert hyper vite, que ce soit tagué, mais finalement le projet a été respecté. L’idée aussi, c’est d’implanter dans le paysage urbain des images de femmes qui sont autre chose que celles véhiculées par la publicité. J’essaye de faire des images “vivantes”, qui traduisent des expressions et des sentiments. Surtout quand on sait que les “sentiments des femmes” sont une notion qui, bien souvent, n’est pas prise en compte… puisqu’il est souvent dit que les femmes exagèrent.
Est-ce que c’est ton #MeToo et ton Time’s up à toi ?
On peut dire ça, oui ! Quand ces mouvements ont été lancés, ça m’a renvoyé à des moments violents de mon histoire. Je considère que les problèmes sont tellement vieux et vécus par toutes les femmes que la déconstruction peut se faire auprès de chacun. Tout le monde a son rôle à jouer là-dedans et, si je peux faire réagir ne serait-ce que trois personnes qui croisent mon projet, alors le pari est gagné. Il n’y a pas de petit combat, il ne faut pas s’auto-censurer, s’auto-limiter. Si on a le temps, l’envie et la capacité de faire réfléchir des personnes sur ces sujets, alors il faut le faire sans hésiter !
Propos recueillis par Élodie Potente
{"type":"Banniere-Basse"}