Alors que la réforme de l’immigration semble définitivement bloquée, le bilan chiffré de la politique migratoire conduite par Barack Obama tombe comme un couperet. Plus de deux millions d’étrangers ont été expulsés depuis son entrée à la Maison Blanche. Trahison, déception et incrédulité : des voix s’élèvent pour dénoncer les choix du « deporter in chief », plus répressif encore que Georges Bush.
Sale printemps pour Barack Obama. A l’approche des « Midterms », les élections de mi-mandat en novembre où les démocrates craignent de perdre leur majorité au Sénat, les accusations jaillissent de part et d’autre pour dénoncer les choix de politique migratoire du Président. Du New York Times à Aloe Blacc, en passant par les grandes figures du patronat, tous dénoncent le bilan extraordinairement sombre de son administration. Une politique virulente d’expulsion et de rétention des immigrés en situation irrégulière est peu à peu dévoilée, en décalage avec les discours d’ouverture et de tolérance tenus par Obama. Un double jeu qui passe mal auprès d’une part importante de son électorat, les Américains d’origine étrangère.
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Recordman des expulsions
Désigné au début du printemps comme le « deporter in chief » par Janet Murguia, figure latino de la défense des droits humains, puis par l’hebdomadaire The Economist, Obama bat tous les records avec plus de 400 000 expulsions par an. Le Président, qui avait pourtant déclaré que l’action gouvernementale ne devrait cibler que « les criminels, les membres de gangs (…), pas les étudiants ou ceux qui sont ici parce qu’ils cherchent un moyen de nourrir leur famille », est pris en flagrant délit de contraction.
Début avril, les chiffres révélés par le New York Times démontrent un accroissement explosif des éloignements d’immigrés présents depuis des dizaines d’années. Et les expulsions de « petits délinquants » sont passés à plus de 190 000 sous l’ère Obama, contre 40 000 en cinq ans sous l’ère Bush. Dans une enquête de 10 pages, le quotidien dénonce sans ménagement les ravages familiaux : Ivan Maldonado, 18 ans, a dû quitter le lycée pour travailler dans une usine après l’expulsion de son père ; Annabel Baron, mère de quatre « American born children« , est revenue illégalement après sa dernière expulsion, mais « c’est encore pire pour les enfants. Ils ne veulent plus aller à l’école, ils ont peur de ne pas me trouver à la maison en rentrant ». De nombreux parents font des allers retours incessants. Expulsés, ils refranchissent illégalement les frontières pour rejoindre leurs kids restés sur le sol américain.
En 2008, Obama promettait de transformer un système qui ne « fonctionne absolument pas ». Hormis un décret visant à empêcher l’expulsion des Dreamers (ces jeunes immigrés de moins de 30 ans qui ont grandi aux Etats-Unis) et une injonction à rendre « les expulsions plus humaines », la situation n’a pas évolué, et le Président paraît de plus en plus ankylosé et isolé. « Impossible de savoir quand il va se décider, oser un geste marquant », écrivait le NYT dans un édito publié début avril, et intitulé : « Yes, He Can ».
Double-jeu ou volte-face ?
« Hey, you know what?…You don’t have to convince me. » C’est la réaction de Barack Obama, en meeting à la Maison Blanche. Des réunions qu’il a multipliées ces dernières semaines pour tenter de calmer la fronde. Mais le débat s’enlise. Les avocats des immigrés requièrent des changements dans la gestion administrative de l’immigration, quitte à passer par la voix règlementaire, et le gouvernement Obama se retranche derrière sa réforme… laquelle est fermement bloquée par les Républicains à la Chambre des représentants.
Olivier Richomme, maître de conférence en civilisation américaine et auteur de De le diversité en Amérique (éd. Presses universitaires Paris-Sorbonne, 2013), est sans illusions :
« Les Républicains ont fait de la question de l’immigration une question de sécurité. Et quand on est démocrate, et pas blanc, on ne peut pas avoir l’air de reculer sur la sécurité, surtout après le 11 septembre. Mais à l’approche des élections de mi-mandat, Obama commence à penser à sa place dans l’Histoire, donc il veut remettre la réforme de l’immigration sur le devant de la scène. Or il ne peut pas avoir le beurre et l’argent du beurre.«
Cette réforme, pour de nombreux observateurs, ne passera jamais. « Nous avions jugé possible la réforme de la santé, celle de l’énergie peut-être faisable bien que très difficile, et celle de l’immigration, infaisable« , rappelle un ancien fonctionnaire de la Maison Blanche. Pour Olivier Richomme, « le problème, c’est que les démocrates ne savent pas avec qui négocier. John Boehner, le leader républicain à la Chambre, ne tient pas ses troupes. Tant que le parti républicain ne fait pas son aggiornamento sur la question, rien ne se passera. On parlait de cette réforme en 2012, on en parle en 2014, et on en reparlera en 2016″. En réalité, conclut le chercheur : « Obama est impuissant ».
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