Ils étaient nombreux à l’attendre depuis plusieurs années. Le premier battle international de hip-hop s’est finalement déroulé le 23 décembre dernier à Phnom Penh, capitale du Cambodge, pays où la culture hip-hop est encore en plein essor. Les organisateurs du Rom Bak battle nous raconte.
Tout est parti d’un simple constat : “Il n’existe pas de vraie compétition de danse hip-hop au Cambodge.” Il n’en fallait pas plus pour que Vibol Lim et son colocataire Bboy Peanut, ancien danseur des Massive Monkees de Seattle, se lancent le pari d’y remédier. Accompagnés par Bgirl Melski, Australienne activiste du hip-hop dans son pays, le trio organise cinq battles entre 2013 et 2014. Le public répond présent, les danseurs pros et amateurs aussi mais deux des membres doivent rentrer dans leurs pays respectifs et les financements sont durs à trouver. Après avoir muri davantage le projet, Vibol relance la machine, aidé par son cousin Samuel Hak Sisowath, aka XL Sam, danseur “old school” de popping depuis le début des années 90 à Garges Sarcelles.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Ils rencontrent Zakary Peang, fondateur de Move and Art, un collectif de danse hip-hop créé en 2008, puis se rapprochent de Rotha Alex Tuy, aka Bboy Rotha, membre mythique du Pockemon Crew, un des groupes de break dance le plus titrés au monde. Séduit par l’aspect inédit de l’événement, ce dernier accepte sans hésiter. “C’était aussi un projet qui avait du sens pour moi car il permettait de faire le lien entre le hip-hop et mon pays d’origine”, explique-t-il.
“Notre point commun c’est que l’art et la danse nous ont révélés, c’est une émancipation intellectuelle et émotionnelle”
Ensemble, ils fondent en avril 2017 l’association Rom Bak, version simplifiée de Roam Kbayk, qui signifie tout simplement “break dance” en khmer. “Notre point commun c’est que l’art et la danse nous ont révélés, c’est une émancipation intellectuelle et émotionnelle”, résume Samuel.
La date du 23 décembre approche à grand pas. La campagne de financement participatif a bien marché, la salle du Pontoon, célèbre club de Phnom Penh, est réservée, l’équipe organisatrice s’agrandit, les inscriptions sont ouvertes et les danseurs on ne peut plus préparés, après quatre ans d’attente pour qu’un “vrai” battle soit à nouveau organisé.
Rencontrer des danseurs d’autres pays
Un engouement pour l’événement que Khenory Sok, chargée des relations partenaires et presse, résume ainsi : “La majorité des événements hip-hop à travers le monde sont des freestyles et des battles, alors ne pas participer à ce genre d’événement, c’est passer à côté de l’essence même du hip-hop. Les danseurs étaient heureux que l’échange artistique ne passe pas uniquement par les plateformes digitales. C’était l’occasion de rencontrer des danseurs d’autres pays afin d’échanger et d’évaluer leurs propres compétences”.
“Le hip-hop est encore coincé dans ses clichés. Pour beaucoup de Cambodgiens, c’est un truc de voyous apporté par les Américains”
Des danseurs cambodgiens bien sûr, mais aussi français, anglais, vietnamiens, américains et même japonais ont répondu présent pour des 2 vs 2 aussi bien en break dance qu’en dance hall, waacking style, krump, etc.
“On a eu des danseurs avec des bagages techniques très variés, c’était vraiment intéressant, raconte Vibol. Et puis par rapport aux précédents battles, il y avait des filles ! C’est d’ailleurs le duo mixte vietnamien qui a gagné la finale de break dance”. Son seul petit regret est de ne pas avoir accueilli de compétiteurs thaïlandais car “là-bas le hip-hop est beaucoup plus développé. C’est arrivé plus tôt car les Américains qui se servaient du pays comme base arrière ont apporté cette culture. Un gros battle était organisé au même moment que Rom Bak à Bangkok ! Au Vietnam, un Viet-Américain, Bboy vietmax a développé des battles depuis 20 ans déjà. Et au Laos, il y a des festivals hip-hop qui se font tous les ans alors que le pays est réputé pour être moins développé que le Cambodge”, explique Vibol. Un retard qu’il explique notamment par une influence moins présente des États-Unis et par la lente reconstruction du Cambodge après le génocide des Khmers Rouges, “où tous les artistes et intellectuels ont soit été exterminés par la folie soit ont fui le pays”.
Encore une culture underground
La culture hip-hop est ainsi arrivée au Cambodge il y a seulement une vingtaine d’années via Sok Visal aka Cream, ancien grapheur de la Cité des 3 000 dans le 93, connu pour ses samples de grands chanteurs cambodgiens des années 60 et fondateur du collectif et label indépendant cambodgien KlapYaHandz, regroupant des artistes comme Aping, Kdep, Gang et Khlaing. La scène hip-hop au Cambodge est bien là, regroupe toujours plus d’adeptes mais reste encore une culture underground. Pour les membres de Rom Bak, tous franco-khmers, le hip-hop au Cambodge leur rappelle la France dans les années 90. “Le hip-hop est encore coincé dans ses clichés. Pour beaucoup de Cambodgiens, c’est un truc de voyous apporté par les Américains, c’est synonyme de faible éducation, danger, prostitution”, regrette Samuel. “C’est vu comme une culture de gangster à cause des dégaines des Khmer-américains”, renchérit Vibol.
Le hip-hop comme vecteur de lien social et culturel
Casquette, chaînes et tatouages sur tout le corps, Kay Kay a justement cette dégaine. Né dans un camp de réfugiés en Thaïlande, il arrive tout jeune aux Etats-Unis. A 18 ans, il se fait prendre pour vol à main armée, passe par la case prison, découvre au passage qu’il n’a pas la citoyenneté américaine et se fait expulser dans son pays d’origine où il n’a pourtant jamais mis les pieds. Membre d’un gang repenti, il décide de fonder l’association Tiny Toones qui donne accès à l’éducation à des enfants défavorisés, tout en leur transmettant les valeurs du hip-hop avec des cours de break dance, de musique et d’écriture.
“C’est la seule ONG qui fait ça dans tout le pays. Plus de 8 000 enfants y sont passés et beaucoup sont allés jusqu’à l’université, certains sont devenus des stars locales, d’autres ont intégré de grandes entreprises, etc.”, explique Vibol. “C’est la preuve que la jeunesse peut passer par le hip-hop pour avoir un avenir”, ajoute Samuel qui se réjouit à l’idée que le battle Rom Bak a permis de récolter des fonds pour donner un coup de pouce à l’ONG.
Toute l’équipe se prépare désormais avec impatience à la deuxième édition du battle international qui se déroulera cette fois-ci sur trois jours. “On aimerait aussi ajouter une catégorie de danse khmer hip-hop”, précise Vibol dont le plus grand souhait serait d’aider les artistes cambodgiens à avoir une réelle carrière internationale et professionnel. “Nous avons la conviction que le potentiel est énorme dans notre pays”, ajoute Zakary pour qui le meilleur souvenir de ce battle restera le moment de “social dance soul train” où tout le monde s’est retrouvé sur la piste de danse. “Il y a eu une belle alchimie générale”, résume Khenory avant de conclure : “Le hip-hop, musique comme danse, a cette capacité de rassembler les gens de différentes classes sociales, origines et âges, ce qui est quelque chose d’assez rare au Cambodge où la société est très hiérarchisée, et c’est ce qui s’est passé au Rom Bak.”
{"type":"Banniere-Basse"}