Martha Stewart forme avec le rappeur le duo de présentateurs le plus improbable de la télé US. A coups de vannes un peu grasses et de recettes partagées, leur émission de cuisine cartonne.
L’Amérique se passionne pour Martha & Snoop’s Potluck Dinner Party, une émission de cuisine réunissant Snoop Dogg et une mamie taularde. Ce programme télé cartonne depuis un an aux Etats-Unis. Une émission de cuisine animée par Snoop Dogg et Martha Stewart…
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Martha qui ? Si l’on ne présente plus le rappeur californien, Martha Stewart, 76 printemps, restera probablement inconnue dans l’Hexagone jusqu’à son trépas. Dommage, cette dame est fascinante. Sa carrière tient à la fois de Maïté et du Loup de Wall Street.
Un succès bâti à partir de rien ou presque
Une histoire très américaine, un succès bâti à partir de rien ou presque. Des livres de cuisine et de déco à succès l’amènent dans les années 1980 à présenter et produire des émissions calibrées pour la ménagère américaine, qu’elle incarne parfaitement, avec son look de soccer mom et son accent yankee bon teint.
Stewart s’approprie un créneau qui s’étend de la cuisson des dindes au jardinage, et construit ex nihilo un empire médiatique à son nom. A l’entrée en Bourse de son groupe, en 1999, elle devient la première self-made milliardaire des Etats-Unis, soit la première qui n’ait pas hérité de sa fortune.
Sa chute survient juste après avoir crevé ce dernier plafond. Courant 2000, la reine des conserves et des bougies de Noël est poursuivie par la justice new-yorkaise pour un crime financier. L’affaire, un délit d’initié, passionne l’Amérique. Stewart s’est débarrassée d’actions d’une succursale de son groupe la veille qu’elles ne plongent. Un trader à ses ordres l’a mise au parfum. La loi lui interdit d’avoir accès à cette info.
Martha prend cinq mois ferme pour avoir trafiqué une somme finalement ridicule (50 000 dollars environ) comparée à sa colossale fortune. Un courtier justifiera son acte par une explication de psychologie sociale : Martha Stewart venait de la petite classe moyenne et, même riche, elle en a conservé les échelles de valeur. 50 000 dollars lui paraissaient une somme toujours énorme ; elle a risqué de tout perdre en voulant rattraper une miette.
Une rencontre autour d’une purée maison
Le crime a juste fait vaciller son vaste empire d’émissions de télé, de magazines, de livres et de produits dérivés. Stewart sort de prison aussi célèbre qu’avant, son image de mère au foyer parfaite et ennuyeuse en moins. Elle étend sa sphère d’influence à un public plus jeune, sans forcer, son pedigree d’ex-taularde suffit.
La série Orange Is the New Black s’est inspirée de Martha pour le personnage de Judy King dans la saison 4 ; elle continue de multiplier les partenariats pour vendre des parquets de cuisine ou du vin rouge.
N’empêche, Martha a passé plus de temps à l’ombre que Snoop en jours cumulés. Le vrai gangster de Martha & Snoop’s Potluck Dinner Party, ce n’est pas le rappeur de Long Beach, c’est la maman gâteau qui lui donne la réplique. Un réservoir à vannes inépuisable pour un concept télévisuel ultra simple : Snoop et Martha préparent un dîner à la bonne franquette, sur un ton léger, en invitant des célébrités.
Souvent des cadors du rap old school et actuel. Ice Cube, 50 Cent, Wiz Khalifa, 2 Chainz, Fat Joe passent faire un coucou. Le duo fonctionne bien, l’alchimie n’est pas forcée. “Ce n’est pas un hasard. Ils ont une histoire ensemble, ils se connaissent”, dit SallyAnn Salsano, la productrice, à Business Insider. Snoop a rencontré Martha en 2008, invité dans son émission de cuisine appelée Martha (évidemment). Ensemble, ils avaient concocté une purée maison.
Snoop dans Le Juste Prix et Une famille en or
Assagi depuis longtemps, homme d’affaires avisé, Snoop est un habitué des apparitions décalées dans les jeux télé ringards. Il participe occasionnellement aux émissions qu’il aimait gamin, comme Le Juste Prix (The Price Is Right) en 2012, ou Une famille en or (Family Feud) l’an dernier.
Aujourd’hui, Snoop passe d’invité à coprésentateur. Le concept semble improbable à première vue, tant les fans de Snoop et Martha semblent situés à l’opposé du spectre culturel américain. Mais leur alliance n’est pas contre nature, argumente Ian Crouch du New Yorker.
“Tous deux sont devenus des marques ambulantes. Des amuseurs sans vergogne. Ils ont dépassé, chacun de leur côté, leur public de départ. Ce sont devenus des gourous.” Vieux roublards de la télé, Snoop et Martha sont identifiables par un public toujours plus vaste, décennie après décennie. Aujourd’hui, ces publics se rejoignent autour de la table pour une bonne tranche de rire.
Une émission est riche en sous-entendus ethno-gastronomiques
L’émission fait du bien au pays en ce moment. Deux générations, deux cultures s’échangent des recettes de leur terroir – ghetto de Long Beach pour Snoop, banlieue riche de New York pour Martha. Ensemble, ils débattent de la meilleure manière de cuire un poulet (Snoop Dogg parsème le volatile de chips barbecue).
Stewart est tour à tour maternante ou bossy, toujours à l’aise. Celle qui a laissé s’échapper un destin à la Oprah Winfrey a ce truc en plus que n’a pas Oprah : la disgrâce, qui lui donne une épaisseur supplémentaire et un humour blasé à toute épreuve.
Les scénaristes ne s’interdisent pas la lourdeur. Dans un des premiers épisodes, ce cachalot de Rick Ross se glisse derrière Martha et lui fait du gringue ; elle joue le jeu et réplique, pince-sans-rire, que “sa température monte” comme un four à pain.
La recette de l’émission est riche en sous-entendus ethno-gastronomiques : “poivre blanc”, “poivre noir” ; “viande blanche”, “viande brune”. Pas que du politiquement correct derrière les fourneaux de Snoop et Martha : c’est l’époque qui veut ça.
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