De moins en moins robots, de plus en plus humains: les androïdes de « Real Humans » sont-ils prêts pour l’émancipation et la liberté? Réponse avec le créateur de la série et dans la saison 2, tous les jeudis sur Arte.
Nous sommes dans l’épisode 3. Déchirée par une déception sentimentale et des problèmes d’argent, fatiguée par la vie, une jolie blonde tente de se suicider. Sur son lit, elle attend de mourir. La scène pourrait être presque banale. Elle est pourtant bouleversante. Car la jeune femme en question ne devrait même pas connaître le mot « suicide ». C’est une androïde. Enfin, une « hubot », cette contraction de robot et humain que Real Humans a rendue familière.
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La deuxième saison confirme les sensations de la première : nous sommes en présence de l’une des créations les plus originales et les plus fortes du moment ; une série ardente, ample et un peu folle, capable de mélanger les genres (fable politique, sciencefiction, etc.) avec une souplesse de tous les instants. Dans ce même épisode 3, décidément merveilleux, un grandpère mort la saisonprécédente revient dans sa version clonée. C’est l’occasion d’une scène formidable, aux confins du burlesque, où toute la famille réunie autour de lui tente de se persuader qu’il est bien ressuscité. Real Humans ose tout, c’est même à ça qu’on la reconnaît.
Rappelons le pitch. Dans la Suède d’aujourd’hui, les robots domestiques (mais pas seulement : ils servent parfois d’esclave sexuel ou d’auxiliaire de vie, entre autres) sont entrés dans le quotidien des familles et des entreprises. Un autre monde ? Le nôtre, surtout, mais légèrement décalé. La série brasse des sujets comme l’exclusion, la norme et la marge, les minorités, la dépendance à la technologie, la douleur au travail, la bioéthique, la surveillance généralisée, etc., à travers le prisme toujours étonnant des « hubots », ces créatures insupportablement souriantes – et pourtant émouvantes – qui pourraient très vite diverger du programmepour lequel elles ont été conçues et réclamer leur liberté. Il s’agissait d’une toile de fond toujours présente dans la première saison, c’est devenu le sujet principal de la saison 2 où il est question d’un code qui pourrait libérer les androïdes et d’un virus capable de perturber leur nature pacifique. « Les hubots sont une métaphore de tout ce que nous excluons dans la société occidentale contemporaine, explique le créateur Lars Lundström. On projette tout sur eux, des fantasmes et des peurs, car ils n’expriment que très peu leurs sentiments. Souvent, ils sont opprimés. Parfois, ils oppriment. Ils peuvent même être racistes, comme le personnage de Bea. J’essaie de maintenir un certain niveau de complexité. »
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Un projet mystérieux et bizarre
Le sujet est vaste, compliqué, passionnel. En France comme en Suède. « La série me semble universelle mais elle parle évidemment de la Suède et de son modèle social qui a été pas mal secoué ces dernières années. Partout, les systèmes démocratiques les plus élaborés sont mis en difficulté par les divisions, et la Suède n’est pas à l’abri : comme ailleurs, les riches y deviennent plus riches et les pauvres plus pauvres. L’extrême droite est devenue de plus en plus populaire en dénonçant l’immigration. Nous nous confrontons à cela dans la série, même s’il n’est pas question de l’exprimer de manière trop frontale. Ce serait perdre l’esprit de la fiction. »
Malgré le caractère ultracontemporain de ses métaphores, Real Humans ne perd d’ailleurs jamais de vue le mystère et la bizarrerie de son projet. Elle parvient à évoquer un siècle de littérature et de cinéma consacré aux robots, d’Asimov à Spielberg en passantpar Blade Runner (Ridley Scott, 1982), tout en s’affranchissant des modèles. « Mes références n’appartiennent pas forcément au domaine de la science-fiction, confesse Lundström. Je n’ai absolument rien contre mais ce n’est pas ce qui me faisait rêver quand j’étais jeune. C’est une manière riche et ambiguë de raconter des histoires, pourtant les genres ne m’intéressent pas vraiment. En revanche, j’aime les personnages, je leur dois toute mon attention. »
En attendant la confirmation de cette commanded’une troisième saison (qui n’a pas encore eu lieu, à la suite d’un changement de gouvernance à la chaîne SVT), Lundström confirme le remake anglo-américain en cours, via un attelage étonnant : « Channel 4 est associée à Xbox (Microsoft) dont ce sera la première série originale. Je suis seulement consulté sur le projet, mais cela me convient très bien. La révolution des séries continue. Dans quelques années, la télévision de l’ancien temps aura considérablement réduit son territoire et les possibilités seront quasi infinies. Ça a déjà commencé à changer la manière dont on écrit. Il y a dix ans, on nous interdisait de faire des séries de type feuilletonnantes ! Aujourd’hui, on nous demande de tirer parti à fond de l’art épisodique. »
Real Humans saison 2, à partir du 15 mai, 20 h 40, Arte
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