Electronicien de formation, Zend Avesta déforme l’électronique sur son magnifique premier album Organique. Un chantier insensé, où il convoque pop et électroacoustique, voie de traverse et voix de traviole, électronique suave et composition magistrale. Un disque savant mais jamais pédant, enregistré “pour les filles”. L’endroit, sans doute, n’est pas choisi par hasard. Arnaud Rebotini donne […]
Electronicien de formation, Zend Avesta déforme l’électronique sur son magnifique premier album Organique. Un chantier insensé, où il convoque pop et électroacoustique, voie de traverse et voix de traviole, électronique suave et composition magistrale. Un disque savant mais jamais pédant, enregistré « pour les filles ».
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
L’endroit, sans doute, n’est pas choisi par hasard. Arnaud Rebotini donne ses rendez-vous promotionnels dans un hôtel gothique du centre parisien, à équidistance du quartier du Marais, ce confluent des tendances qui vont et viennent, et des studios souterrains de l’Ircam. Soit quelque part entre son ancienne vie et la nouvelle, à mi-chemin des vastes boulevards tracés d’un point à l’autre de sa géographie musicale.
Il aurait tout aussi bien pu recevoir sur une aire de repos entre Versailles et Royan. Versailles, le chantier baptismal de la French touch d’où il vient, et Royan, où il s’est posé il y a deux ans pour mettre en route Organique, son premier album sous le nom Zend Avesta. Avec lui, on n’en aura jamais fini des jeux de (fausse) piste et des aménagements personnels du territoire. On se croira souvent perdu quand il faudra trouver un sens à sa démarche musicale, qui n’est qu’une suite de trompe-l’œil et de virages en épingle.
Il jubile à l’avance d’être précisément là où nul n’avait songé le trouver, en porte-à-faux plutôt qu’en porte-drapeau de la scène électronique hexagonale. Il estime suffisante sa contribution passée, sous les pseudonymes Aleph ou Black Strobe (avec Ivan Smagghe) dans le cadre délimité de l’electro. Sa musique, après tous les détours empruntés parmi les petites boucles de la house et de la techno, se situe désormais hors champ, calmement distanciée et singulière, nourrie d’influences qui n’ont pas cours à la Bourse de la nouvelle économie.
Parlez à Rebotini de son statut reconnu par tous de parrain des milieux électroniques parisiens, il préfère s’épancher sur son amour pour Debussy ou Bartók, les Tindersticks ou Arab Strap. Taquinez-le sur la French touch et vous le verrez botter gentiment en touche. Sa carrure de rugbyman (1,96 m) comme ses états de service l’autorisent à envoyer valser les étiquettes et surtout ceux qui les fabriquent. Une rumeur alarmiste a d’ailleurs longtemps parcouru les réseaux autorisés concernant l’état d’avancement de l’album de Zend Avesta, lequel aurait finalement plus d’affinités avec la pop ou la musique contemporaine qu’avec la techno.
Le premier album de Zend Avesta prenait donc un tour inattendu. Un putain d’accroc dans les certitudes progressistes de certains agitateurs de la modernité ambiante. S’en est suivie une interview accordée à nos confrères de Vibrations en décembre dernier, où Rebotini fustigeait au lance-flammes l’hégémonie actuelle du groove, ses grosses basses et sa vue basse qui interdisent par décret toute autre forme d’apprivoisement de l’héritage afro-américain. Une bombe sur le dance-floor qui aurait pu exploser dans les mains de son poseur (mais de pose, il n’était point question) et qui eut au contraire pour effet de renforcer le mystère autour d’Arnaud Rebotini et de sa grande œuvre en gestation. « Ce complexe du petit Blanc qui croit qu’il fait du funk parce qu’il s’appelle Superfunk a tendance à m’énerver. La dictature du groove, surtout en France où on en soupe maintenant depuis dix ans, je trouve ça pathétique. Quand je vois la plupart des DJ actuels qui utilisent les mêmes plans house en boucle, je me dis qu’ils feraient bien de retourner faire des mariages. »
Alors Rebotini s’en est retourné faire des mariages lui aussi, mais pas les mêmes. Des mariages en noir, noces barbares qui commencent par un divorce avec son passé electro pour investir des territoires rarement enfreints, à la frontière de la pop pastorale et des champs électroacoustiques laissés en friche depuis l’âge d’or de l’agriculture sonore que furent les années 60 et 70. Ces mariages, donc, où sont invités aussi bien Steve Reich que Mark Hollis, les caciques du GRM (Groupe de recherches musicales) que les arrangeurs postmodernes du type Craig Armstrong ou Sakamoto, les directeurs de casting et architectes polyphonistes de This Mortal Coil ou de Massive Attack.
L’an passé, l’un des titres du premier maxi de Zend Avesta, Karlheinz Stockhausen is a funky drummer, aura indiqué façon pirouette l’ampleur de la tâche. Et brouillé encore un peu mieux les pistes. L’opacité fut à son comble lorsqu’on apprit le nom des sirènes invitées à prêter leur voix sur les titres chantés d’Organique, un cheptel affriolant d’ex : Roya Arab (ex-Archive), Mona Soyoc (ex-Kas Product) et Hafdis Huld (ex-Gus Gus). Un tiercé féminin que complètent les hommes en noir Alain Bashung et Philippe Poirier (de Kat Onoma) et aussi un orchestre en chambre dirigé par un jazzman, Vincent Artaud qui creuse par ailleurs avec sa contrebasse des profondeurs de champ essentielles au relief de l’album.
Telle affiche au prestige avéré ne ferait toutefois pas un disque si les compositions de Rebotini n’étaient pas, hors de toute décoration, d’une stupéfiante beauté. C’est d’ailleurs ce contenu bouillonnant qui, en cours d’enregistrement, a imposé qu’on lui adjoigne un si fastueux contenant : « Quand j’imaginais le disque, je n’envisageais pas de pouvoir travailler avec des gens comme Bashung et je ne pensais pas avoir les moyens d’utiliser de vraies cordes et autant de musiciens additionnels. Je n’avais prévu d’utiliser que des machines et le résultat n’aurait jamais pu ressembler à ça. Comme j’avais pour ambition de travailler en profondeur chaque nuance, parce que c’est à mon sens ce qui fait le plus défaut à la musique actuelle, j’avais besoin de cette palette d’instruments et de ces personnalités. J’ai conduit ce projet d’un bout à l’autre, j’en ai fait le mixage tout seul, en passant parfois par des périodes de doute extrême, mais je voulais qu’à l’arrivée on sente qu’il y a de la vie, qu’il s’agit d’un disque humain. Le titre Organique, je l’ai d’ailleurs choisi autant pour montrer la rupture avec l’électronique que pour sa référence aux organes, à ce qui constitue la vie. »
Zend Avesta, masque zarathoustrien (le Zend Avesta est le livre sacré du prophète persan) qu’Arnaud Rebotini affirme avoir choisi pour sa graphie et sa sonorité, est aujourd’hui un réceptacle pour toutes les obsessions décortiquées pendant des années d’apprentissage par son auteur, qui prétend n’avoir fait jusqu’ici que des « exercices de style ». Lui, qui n’a jamais pu se satisfaire des cloisons entre musiques savantes et non savantes, sacrées et profanes, classiques et prétendues modernes, s’emploie à en abattre plusieurs d’un coup.
Après les exercices, le voici de plain-pied dans le style, son style, contemplatif et vertigineux, qu’on apparentera par défaut à celui dans lequel Björk s’est épanouie depuis sa carrière solo. Soit de savants tressages d’électronique mouvante et de cordes émouvantes, intensément séduisants à l’oreille mais forgés avec des matériaux abrupts, des dissonances et des cassures, à la fois empreints de gravité et de désirs frivoles zen, zarbi et zinzin en même temps. Il faut entendre les clarinettes papillonner autour de la voix d’Hafdis comme des lucioles (One of these days) ou, à l’autre bout du spectre, une foudre de métal s’abattre sur le Mortel battement/Nocturne de Jean Tardieu visité en creux par Bashung.
Quant aux plages instrumentales, bien plus que des ponctuations, elles révèlent les talents sorciers du démiurge Rebotini, capable de faire d’une suite mélodique simplissime un véritable palais de glace musical. Pour Rebotini, autodidacte sans notion d’harmonie et musicien limité, la découverte de la musique contemporaine ne fut qu’une étape de plus dans son cheminement perpétuel d’assoiffé de nouveaux sons. « Ma culture d’origine, c’est la musique noire. Il se trouve que mon père n’écoutait que ça, de la soul ou de l’electrofunk des années 70. J’ai grandi là-dedans et c’est sans doute pour ça que je m’en éloigne de plus en plus. C’est une façon de régler mon œdipe (rires)… Naturellement, je suis ensuite passé au hip-hop, au début des années 80, et mon père avait du mal à s’y faire. Ensuite, je me suis intéressé à la new-wave, à la noisy-pop. Mes goûts musicaux n’ont jamais cessé de s’étendre et la musique classique et contemporaine s’est imposée naturellement. J’ai commencé par Le Sacre du printemps et je suis passé directement au Marteau sans maître de Boulez, j’ai remonté les courants, je me suis passionné à la fois pour Debussy et Stockhausen. Quand j’entre dans un magasin de disques aujourd’hui, je vais faire un tour rapide au rayon électronique pour voir ce qui s’y passe mais je repars avec des disques classiques ou des Tim Buckley et, d’autres fois, avec des disques de black metal suédois, ça dépend des jours, de l’humeur… »
En réponse aux accusations possibles de pédanterie, il oppose un réel désir de partage dont sa propre musique serait une introduction idéale : « Si quelqu’un vient me voir et me dit qu’il n’entend rien à la musique contemporaine, je ne vais pas le traiter d’abruti, je vais au contraire l’amener chez moi et lui faire écouter des tonnes de disques. Quand j’étais disquaire chez Rough Trade, j’avais la même démarche, l’élitisme ne m’intéressait pas. De toute façon, tout le monde écoute de la musique contemporaine sans le savoir. Dans les musiques de films américains à gros budget, il y a des tas de plans piqués chez Ligeti ou Penderecki, tout n’est souvent qu’une question de présentation. »
Du black metal ou de la musique répétitive, du Tim Buckley et du Debussy, on en trouve des réminiscences assez nettes dans Organique, comme y subsiste l’essence des choses apprises par Rebotini dans ses aventures musicales précédentes, de la drum’n’bass gothique de Black Strobe à ses productions fusionnelles pour Denez Prigent ou Shinjù Gumi. Plus rien ne transparaît en revanche de ses jeunes années passées au lycée Jules-Ferry de Versailles sous le même préau qu’Etienne De Crécy, Alex Gopher ou les membres de Air : « On a pas mal romancé tout le truc autour de Versailles. Il ne s’y passait rien de vraiment déterminant, tout le monde faisait de la new-wave à l’époque. Les autres étaient en première S et moi j’étais en BEP d’électronique, c’est peut-être ça qui fait la différence. On se voyait surtout pendant les pauses, on avait certains goûts musicaux en commun mais c’est tout. »
Son BEP d’électronique, Rebotini l’a sans doute mieux mis à profit que d’autres, d’abord en participant aux premières raves (« On se tordait les chevilles dans des champignonnières humides, c’était pas aussi marrant qu’on le dit aujourd’hui »), puis en bricolant ses premières boucles dès l’origine de la vague house qui s’apprêtait à déferler. Venu à l’électronique par commodité (« Mon instrument de base, c’est la souris : sans aucune notion d’harmonie ou de composition, tu peux faire des titres house tout à fait convenables »), il n’oubliera jamais ni le funk, ni Black Sabbath, ni Talk Talk, ni Jesus & Mary Chain, ni ce concert des Cocteau Twins en 84 où il fit la rencontre de son futur producteur.
Dans les élégants replis d’Organique, c’est le bouillon de cette culture amassée en désordre qui abreuve le sillon, un monde englouti qui renaît sous une musique incroyablement neuve, tellement neuve qu’elle pourrait même en intimider certains. « Sur cet album, j’avais envie d’explorer des choses beaucoup plus vastes parce que je ne fais pas partie des gens qui veulent à tout prix parvenir au bout d’un genre avant de passer à autre chose. Moi, j’ai besoin d’aller dans plein de directions à la fois. Cet album, je le vois d’abord comme un puzzle que j’aurais réussi à rassembler en ne me fiant qu’à mon oreille, en essayant de reproduire à ma manière des sonorités héritées de la musique contemporaine pour les mélanger à ma culture : la pop et l’électronique. C’est un peu cérébral comme démarche, mais il ne faut pas non plus oublier de mentionner qu’il s’agit d’un disque romantique, destiné à plaire aux filles. »
{"type":"Banniere-Basse"}