Le docu-fiction “Sono tornato” (“Me revoilà”) raconte les pérégrinations de Mussolini, de retour en 2018, et témoigne d’une Italie politiquement déboussolée, voire capable de remettre son destin entre les mains du “Duce”…
Qu’arriverait-il si Benito Mussolini était parachuté dans l’Italie de 2018 ? C’est ce qu’a voulu observer, avec humour, le réalisateur Luca Miniero, dont le film, Sono Tornato (“Me revoilà”), est sorti le 1er février dans les salles de la Péninsule. Sur certaines affiches de promotion, l’idée est claire : l’acteur Massimo Popolizio (le sosie du Duce) apparaît en costume militaire devant une photo géante en noir et blanc du dictateur fasciste. Crane rasé, menton en avant, air autoritaire : la ressemblance est frappante, tout comme les idées.
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Comme le révèle la bande-annonce, le registre choisi par le cinéaste est celui de la comédie, grâce notamment à des scènes qui jouent de l’anachronisme de la situation. Mussolini se retrouve ainsi à chanter L’italiano de Toto Cutugno dans une voiture de luxe, ou à décliner son état civil dans une laverie… En tout point, l’idée est similaire à celle de la comédie allemande Il est de retour (2015), qui imaginait ce qui se passerait si Adolf Hitler revenait dans l’Allemagne contemporaine.
Quand la réalité percute la fiction
Selon le synopsis du film, Mussolini croise le chemin d’un documentariste en mal de succès, qui décide d’en faire le personnage principal de son film, et parcours l’Italie. D’émissions télé en rencontres publiques, le leader de l’Italie fasciste se met alors en tête de reconquérir l’Italie. C’est là que Sono Tornato fait grincer des dents : certaines scènes sont en effet réelles, et montrent la réaction des gens face à ce sosie plus vrai que nature. La question en toile de fond est transparente : et si l’histoire était capable de se répéter ?
En effet, des badauds qui le croisent en train de parader en scooter avec son uniforme militaire lui adressent spontanément un salut fasciste, d’autres lui demandent des selfies. Leur parole se libère même parfois sous la caméra du réalisateur : “Il faudrait faire comme lui. Supprimer les partis. En garder un ou deux au maximum”, entend-on. Ou encore que son retour pourrait enfin précipiter l‘“élimination des migrants”… C’est pourquoi ce film fait polémique.
“Le film montre avec quelle facilité les gens sont prêts à croire aux talk-shows de la télé”
L’acteur lui-même, Massimo Popolizio, a confié au Corriere della Sera ses inquiétudes et sa surprise face aux réactions réelles qu’il suscitait dans la rue quand il était grimé en Mussolini : “Le film montre avec quelle facilité les gens sont prêts à croire aux talk-shows de la télé, aux réseaux sociaux, aux marchands de boniments, même lorsqu’ils disent des choses terribles contre les immigrés”.
Ces réactions filmées sont d’autant plus inquiétantes que la date de sortie du film intervient en pleine campagne pour les élections générales italiennes, qui auront lieu le 4 mars prochain. Sur fond de montée du populisme et de persistance de partis néofascistes, cette expérience cinématographique à mi-chemin entre la réalité et la fiction ne laisse pas d’interroger, alors que le Mouvement 5 étoiles (M5S) fait la course en tête dans tous les sondages d’opinion pour mars 2018, et que la Ligue du Nord (extrême droite) est créditée de 13 à 14 % des intentions de vote (lire à ce sujet notre interview de l’historien Marc Lazar). L’année dernière, aux municipales d’Ostie, tout près de la capitale, le mouvement néofasciste avait aussi montré son implantation: sa liste, Casa Pound, avait réalisé 10% des voix.
“Nous avons découvert une Italie sans direction politique, assez raciste, en colère”
Pour contrer ces fanas du fascisme, et lutter contre l’amnésie collective qui pourrait favoriser une répétition tragique de l’histoire, le maire de Predappio, la ville natale de Benito Mussolini, a érigé un musée du fascisme en 2016. Objectif : “faire triompher la raison contre la nostalgie”. Les ambiguïtés suscitées par le tournage de Sono Tornato prouvent que cette entreprise n’est pas un luxe.
Dans le fond, si le sujet suscite autant de réactions controversées en Italie (on reproche notamment au film de donner une image trop humaine de Mussolini), c’est aussi qu’il parle de l’Italie d’aujourd’hui, Mussolini n’étant qu’un prétexte. Le réalisateur, Luca Miniero, s’en est expliqué à l’AFP : “Nous ne voulions pas faire le procès de Mussolini, l’histoire l’a déjà jugé. Nous voulions parler des Italiens”. Plus qu’une comédie, ce film agit selon lui comme un révélateur : “Nous avons découvert une Italie sans direction politique, assez raciste, en colère, un peu dépressive, qui se cherche un homme fort”.
La fusillade raciste d’un militant d’extrême droite, qui a blessé six personnes le 3 février à Macerata montre encore la pente périlleuse sur laquelle l’Italie semble en partie engagée. A sa manière, Sono Tornato semble vouloir tirer la sonnette d’alarme. En espérant entraîner d’autres réactions.
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