L’une des plus fascinantes énigmes de la musique actuelle, sur laquelle planchent aussi bien Bowie que Therapy . Photek a repeint la drum’n’bass en noir avec des pois noirs sur son album aux audaces spectaculaires et à la beauté ténébreuse, Modus operandi. Pourtant, son créateur Rupert Parkes le jure : sa musique n’est ni expérimentale […]
L’une des plus fascinantes énigmes de la musique actuelle, sur laquelle planchent aussi bien Bowie que Therapy . Photek a repeint la drum’n’bass en noir avec des pois noirs sur son album aux audaces spectaculaires et à la beauté ténébreuse, Modus operandi. Pourtant, son créateur Rupert Parkes le jure : sa musique n’est ni expérimentale ni intellectuelle, mais juste l’héritière du jazz-funk.
Comme sa musique, Rupert Parkes est un personnage dont on cherchera en vain à percer l’énigme. Car selon lui, il n’y a point de mystère. Ni dans la beauté surnaturelle de ses disques ni derrière son sourire de Joconde. Pour lui, une seule chose demeure inexplicable : comment son maxi Ni ten ichi ryu a pu s’offrir une incursion dans le Top 40 anglais en mars dernier. « Le titre est imprononçable et le morceau n’a rien d’un tube » assure-t-il, amusé.
Effectivement, comme la plupart des morceaux de Photek, Ni ten ichi ryu n’a rien de la rengaine propre à remuer les foules. A l’instar de la technique d’art martial à deux épées une longue et une courte, simultanément dont il s’inspire, ce morceau développe deux beats en parallèle. Austère et minimaliste mais terriblement intense, ce titre évoque magistralement la rigueur et la concentration, la discipline mentale, le geste ample et précis du samouraï. Comme toujours chez Photek, une harmonie indescriptible se dégage de l’ensemble : chaque son est à sa place et aucune fioriture n’encombre les silences. « Les gens pensent que ma musique est austère, mais ce n’est pas volontaire. Ma musique n’est pas complexe pour être complexe. Elle n’est pas non plus intellectuelle la musique n’a pas vocation à être intellectuelle ni expérimentale ce mot me fait fuir, il est synonyme de chiant et difficile. L’expérimentation est présente tout au long de mon travail de composition, mais ce n’est qu’une méthode de travail au feeling, où le hasard tient une grande place. J’essaie des sons entre eux, et lorsque ça fonctionne, je les garde ; puis je continue ma prospection au fur et à mesure, de la même façon qu’un guitariste « expérimente » de nouveaux riffs sur son manche de guitare. » Ses compositions obéissent pourtant à une rigueur obsessionnelle : le moindre détail répond à un besoin particulier et les beats sont calculés avec une extrême précision. Sa musique est très exigeante : seule une attention soutenue peut révéler à l’auditeur les nuances de tempo, les subtilités de textures, les bruitages abstraits entre les silences. Quant à la notion de mélodie, elle est rendue totalement obsolète.
Donné à son corps défendant comme un pionnier de l’intelligent-jungle terme qu’il réfute , Photek ne fait rien comme les autres : si son inspiration est à chercher aussi bien du côté du hip-hop et du jazz que de la techno de Detroit, il invente un langage qui transcende les genres, rebelle à toute définition. Enfant du hip-hop élevé au nord de Londres, Rupert Parkes, 25 ans, est venu à la musique à l’adolescence, grâce aux pionniers Afrika Bambaataa, Grandmaster Flash « Le premier disque que j’ai acheté était The Message » Stetsasonic, Ultra Magnetic MC’s, Boogie Down Production, Ice T et Just Ice. Puis, très vite, grâce à un camarade de classe et aux émissions radio de Giles Peterson, il tombe dans la vaste marmite jazz, jazz-funk, de Miles Davis à Coltrane en passant par Roy Ayers. Evoquer ce dernier convoque une expression enfantine sur son visage pâle constellé de taches de rousseur. « La première fois que j’ai entendu Everybody loves the sunshine, j’ai été particulièrement intrigué par la section de cordes très aiguë qui court tout au long du morceau. Je n’ai compris qu’il s’agissait d’un son synthétique que lorsque j’ai eu, longtemps après, un synthétiseur entre les mains. Cette énigme que je cherchais à percer concernant les sons est à l’origine de mon désir de faire de la musique. Pour moi, l’apparition de ces sonorités technologiques fait tout l’intérêt de la musique actuelle, car elle exprime des émotions nouvelles et génère des sentiments ad hoc chez l’auditeur. Faute de repères connus, il ne parvient pas à les définir. » Pourtant, en 1986, lorsque le phénomène acid-house et la rave culture explosent à Londres, Rupert n’en a cure. « Je n’aimais pas du tout l’acid-house, je me moquais de ce mouvement. J’étais encore un fanatique de hip-hop et de jazz. Pour moi, c’eût été presque une trahison d’aimer ce nouveau style à la mode. » Il y viendra pourtant, avec retard, tout d’abord grâce aux radios pirates. « Vers 1988, j’ai commencé à entendre des choses qui me plaisaient sur les ondes, mais j’ignorais de qui et de quoi il s’agissait. En fait, Juan Atkins et Derrick May (deux monstres de la techno de Detroit) étaient derrière tous ces morceaux qui me bouleversaient. J’étais frappé de la façon dont leurs disques communiquaient un feeling indescriptible où les mots n’étaient d’aucun secours : il aurait fallu décrire tout un univers personnel, toute une vie. » La première rave où il se rend, en 1989, déclenche un véritable séisme. « J’avais 16 ans et mes parents commençaient à lâcher du lest : je me suis mis à sortir frénétiquement jusqu’à cinq fois par semaine durant trois ans. » A l’époque, le terme de jungle n’existait pas encore. « Il est très difficile de dater précisément l’arrivée de la jungle car elle s’est installée progressivement à partir de 1989, notamment avec le label Shut Up And Dance et A Guy Called Gerald. Leurs disques étaient mixés avec des breakbeats, de la techno et de la house garage : ce grand brassage était précisément l’esprit des raves de l’époque. »
En 1992, Rupert investit dans un sampler, vieux rêve conçu à l’époque de l’electro-hip-hop. Mais le rap étant exclu faute de rapper sous la main, Photek frictionne inlassablement de la house garage et des breakbeats, en attendant une étincelle. « Du jour où j’ai mis mon nez dans le sampler, je n’ai plus consacré mon temps qu’à ça. J’étais inscrit à la fac en cours de design et graphisme mais la seconde année, j’ai fait l’école buissonnière. » Deux ans plus tard, il tente le grand saut avec Jump sous un premier pseudo, Studio Pressure. Sur le petit label Certificate 18, il travaille aux côtés de Jim et Phil, qui allaient devenir ensuite Source Direct et ses frères d’âme. « Nous faisions notre propre truc sans nous soucier d’autrui, au risque d’être ignorés, ce qui fut le cas jusqu’à ce que Fabio et LTJ Bukem s’intéressent à nous. » C’est alors le début du Speed, club de légende et summum d’une époque glorieuse dont il faut avoir été, aux yeux des puristes, pour avoir aujourd’hui droit au chapitre lorsqu’il s’agit de jungle.« Bukem et Fabio avaient carte blanche une fois par semaine au Speed mais les six premiers mois, il n’y avait pas un chat : les bons soirs, nous étions tout au plus une centaine. Puis, du jour au lendemain, il y a eu un engouement soudain et la foule piétinait tous les vendredis à l’entrée. Bizarrement, la hype est retombée au bout d’un an comme elle était venue. Les sessions Metalheadz ont alors pris le relais au Blue Note avec Goldie, Peshay, Fabio, Chemistry & Storm et Doc Scott aux platines. La même petite clique de connaissances se retrouvait là-bas pour tâter le pouls de la scène. C’était le règne des dub-plates (vinyle à exemplaire unique donné aux DJ’s). Lorsqu’un tout nouveau morceau passait, chacun faisait un petit signe de connivence à l’auteur, qui se trouvait forcément dans la salle, pour lui signifier qu’il était reconnu et il nous renvoyait notre clin d’oeil. Quinze jours plus tard, nous revenions si possible avec un morceau encore plus fort. C’était le jeu de la compétition, de l’ordre de la saine émulation, jubilatoire, entre amis. »
En 1994-95, le nom de Photek qui fut d’abord un label avant de devenir son nom d’artiste se répand comme une traînée de poudre dans le milieu jungle grâce à une série de six maxis intrigants (dont The Water margin et Samouraï) et du fameux Natural born killa ep chez Metalheadz. Dans le même temps, Rupert apparaît sous d’autres noms, System X et Aquarius (auteur d’un fabuleux Dolphin tune). Non pas pour brouiller les pistes, mais pour les clarifier. « Photek signifie un certain type de musique à présent et je ne veux pas risquer de décevoir mon public, ni de démolir ma réputation. Travailler sous différentes identités me permet également de ne pas me sentir prisonnier d’un style. » L’un des tout premiers junglists à être signé sur une major, Photek n’a aucun état d’âme vis-à-vis de l’underground « Un terme synonyme d’audience restreinte, qui ne signifie rien concernant la qualité musicale » et compte bien refuser tout compromis en assumant ses choix jusqu’au bout. Si UFO a marqué son principal changement d’orientation musicale « Depuis UFO, je m’efforce de composer mes breakbeats moi-même plutôt que de les sampler sur les disques d’autrui » , son prochain album, sur lequel il a déjà commencé à travailler, devrait « développer un son plus chaleureux » en se concentrant davantage sur ses influences jazz et jazz-funk. Pour l’heure, c’est son remix de Bowie, « une drôle de combinaison, un peu décalée » qui le fait sourire à chaque écoute, qu’on attendra fébrilement après les remixes dévastateurs de Everything But The Girl, Dr Octagon, Goldie et Therapy .
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