D’un David Bowie sévère à des Marilyn Manson perverses, le noir est souvent de rigueur chez David Lynch.
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La route de la perdition, balafrée par la lueur des phares sur la pochette de Lost highway, on l’a d’abord entrevue dans Blue velvet. « Offrons une virée à notre voisin », ricane Dennis Hopper, juste avant qu’une route nocturne, coupée d’une ligne jaune continue, conduise Kyle McLachlan vers un tabassage cauchemardesque arrière-plan sonore : le céleste In dreams de Roy Orbison. Dans Wild at heart, la route obscure a perdu sa ligne jaune, mais mène à nouveau, au son du Wicked game de Chris Isaak, à une scène d’horreur pure un accident de voiture qui renvoie ceux de Crash au rang de clips pour la prévention routière. Au début et à la fin de Lost highway, film cercle, la route maléfique est de retour. Fendue d’une ligne pointillée, elle entraîne Fred vers la schizophrénie meurtrière tandis que David Bowie caracole aux rênes de I’m deranged reprenant ainsi le rôle, passablement dérangé, qu’il jouait dans Fire walk with me, où il était l’agent du FBI Philip Jeffries revenant, en chemise hawaïenne et costume de lin, d’un séjour dans la loge noire de Twin Peaks (en compagnie d’un nain parlant à l’envers et de Bob, le serial-killer aux cheveux cendrés). De film en film, les situations se font écho, les chansons colorent inlassablement des obsessions résurgentes. David Lynch aime faire jouer les chanteurs (Chris Isaak, devenu l’agent Chet Desmond au début de Fire walk with me), chanter les acteurs (Nicolas Cage, excellent Elvis roucouleur dans Wild at heart) et même dénicher des acteurs ayant été chanteurs à l’écran dans Lost highway, le père de Pete est joué par Gary Busey, qui fut autrefois le héros d’une mémorable Buddy Holly story. Buddy Holly, Presley, Isaak : le cinéma de Lynch ne perd jamais de vue (ni d’ouïe) les fifties innocentes, auxquelles il juxtapose de vertigineuses plongées dans les ténèbres. L’infernal Up in flames de Koko Taylor, qui dans Wild at heart annonce la mort d’Harry Dean Stanton (trucidé par un couple pervers au terme d’une éprouvante mise en scène), trouve dans Lost highway son pendant avec un autre blues luciférien, I put a spell on you (un classique de Screamin’ Jay Hawkins, radicalement customisé par Marilyn Manson), utilisé pendant une autre scène fétichiste flamboyante : celle du strip-tease accompli par la blonde Alice (fortement consentante) sous la menace d’un revolver. Ici, les chansons commentent et amplifient directement l’action, remplissant ainsi une fonction de chœur antique, sans forcer sur l’ironie systématique à la Tarantino. Pourtant, Lynch s’amuse parfois : le coup de foudre de Pete pour Alice, souligné par l’incroyable voix de vieux lézard de Lou Reed jouant avec This magic moment, un antique rockabilly de Pomus/Schuman, est prétexte à une superbe scène de « Blue Velvet Underground », qui fonctionne comme un clip euphorisant inséré dans un film magnifiquement oppressant. Un film où les messes noires de Trent Reznor affrontent les instrumentaux partouzards (orgue mouillé, saxophone turgescent) de Barry Adamson et les reptations sexuelles de Marilyn Manson (Apple of sodom). Moins omniprésent qu’à l’accoutumée, Angelo Badalamenti partage avec Antonio Carlos Jobim (Insensatez, envoûtant) les séquences rêveuses posées comme un baume sur les turpitudes vénéneuses de Lost highway qui, avant d’être immortalisé par Hank Williams, fut une chanson de Leon Payne, également auteur de Psycho. Sans doute le seul chanteur de country qui ait inventé les titres de deux films d’une incandescente noirceur.
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