Professeur à Sciences Po et à la Luiss de Rome, Marc Lazar, spécialiste de la vie politique italienne analyse le retrait annoncé de Beppe Grillo de la vie politique. Il met pourtant en garde : l’ancien leader charismatique du M5S pourrait très bien revenir après les élections du 4 mars prochain.
Est-ce que la prise de distance, annoncée par Beppe Grillo lui-même, est un tournant majeur pour ce mouvement politique ?
Marc Lazar – Cela y ressemble. Beppe Grillo est le fondateur de ce mouvement et a longtemps été le propriétaire juridique de la « marque » Mouvement 5 étoiles (M5S), avec son ami Gianroberto Casaleggio. Le M5S reste identifié à Grillo.
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C’est donc le jeune Luigi Di Mario (31 ans) qui va mener campagne pour le M5S…
C’est le leader désormais. Malgré son jeune âge, il est déjà vice-président de la Chambre des débutés depuis 2013. Et à l’époque, le M5S était déjà le premier parti politique en pourcentage de voix obtenues à la Chambre.
Beppe Grillo a évoqué son souhait reprendre sa « liberté ». Que cela signifie-t-il ?
Il y a plusieurs explications. Peut-être qu’à titre personnel, il voulait redevenir un acteur, qui est une ambition personnelle forte chez lui. De plus, Grillo était dans une attitude qu’on qualifie en Italie de « movimenti » ; soit faire passer le mouvement avant tout. C’est le ciment du M5S : refuser la classe politique actuelle qu’il nomme la caste pour marquer sa différence ; l’organisation des « Vaffa Day », etc.
Il ne faut pas perdre en mémoire que Grillo est un tribun, tout en posture, adepte de la protestation et de la radicalité. Or, Luigi Di Maio, c’est l’inverse, il se positionne dans une logique institutionnelle. Depuis un an et demi, il a tenté de mettre en place une stratégie qu’il va essayer d’illustrer dans cette campagne pour les élections générales. Il veut prouver que le M5S est apte à gouverner, qu’il a des candidats compétents. C’est une notion sur laquelle il a longuement insisté lors de la présentation de ses listes électorales, en mettant en avant des universitaires, des chercheurs. L’air de dire : « Il faut nous prendre au sérieux ».
Quelles sont les différences entre Grillo et Di Maio ?
Elles sont d’abord symboliques : leur gestuelle, leur manière de s’habiller est différente. D’un côté Grillo arbore une chemise ouverte et assène de grandes phrases. Luigi di Maio, au contraire, porte toujours une cravate et des costumes cintrés ; il cherche à se donner une allure de respectabilité. De plus, il y a cette divergence politique entre les deux hommes, sur le chemin que doit prendre le mouvement. Enfin, la troisième raison, est que le M5S, dans son histoire récente, a toujours dit qu’il ne ferait jamais d’alliance, que c’était un mouvement qui voulait balayer la classe politique existante. Le « dégagisme » comme dirait en France Jean-Luc Mélenchon, sans concession ni compromis avec les autres partis. Or Luigi Di Maio, dans sa logique institutionnelle d’accession au pouvoir, sait qu’il ne pourra pas y arriver seul et a ouvert plusieurs pistes possibles d’alliances.
Quelles relations entretiennent-ils ?
Ils s’entendaient plutôt bien à l’origine ; Grillo a favorisé la montée en puissance de Di Maio qui est un homme du Sud de l’Italie. Il était satisfait d’avoir trouvé un leader – il ne faut pas oublier que Matteo Renzi a été nommé Président du Conseil avant ses quarante ans – dans un pays relativement « gérontocratique ».
Beppe Grillo était en outre content d’avoir ce jeune sous la main, capable d’incarner un véritable leadership. Mais, encore une fois, l’antagonisme entre eux s’est creusé sur des deux logiques différentes : entre la rupture protestataire et la logique de l’institutionnalisation.
Que souhaite Luigi Di Maio ?
Institutionnaliser son mouvement, conquérir le pouvoir. A l’époque de la municipale, à Rome, une sénatrice du M5S, Paolo Taverna, avait fait cette drôle déclaration : « C’est un complot pour contraindre les ‘grillini’ à gouverner l’ingouvernable. » Elle évoquait un cadeau empoisonné tellement Rome est jugée difficile à administrer. Derrière la boutade se cache l’expression de ce qu’un certain nombre d’adhérents du M5S ressentent : que fait-on lorsqu’on est appelé aux responsabilités ? C’est un vieux dilemme des mouvements populistes et protestataires. Tant qu’on est dans l’opposition, tout va bien. Mais quand on arrive au pouvoir – municipal, régional ou national – que fait-on ? Comment affirme-t-on sa différence ? Luidi Di Maio pense que le M5S pourrait s’affirmer. Il a toujours expliqué que s’ils étaient constamment dans l’opposition, le mouvement s’essoufflerait et perdre sa capacité importante de pénétration.
Le M5S a une chance de l’emporter en mars ?
Il fait la course en tête dans tous les sondages d’opinion. Un des derniers sondages dans la Corriere della Sera, Nando Pagnoncelli, le mettait à 29,3 %. Largement devant tous les autres. Mais le M5S reste isolé et c’est bien là son problème. Il peut très bien être le premier parti en terme de voix mais pas en terme de répartition des sièges, compte-tenu du mode de scrutin. Et même s’il est le premier, il ne pourrait pas forcément gouverner car il n’a pas d’alliés. C’est pour sortir de cette situation que Di Maio a émis l’hypothèse d’alliances. Et c’est ce qui a précipité à mon sens la rupture avec Beppe Grillo. Cela met aussi mal à l’aise une partie de la base du M5S. Non pas les électeurs mais la base du mouvement.
Deux portes ont été ouvertes : en direction de la gauche de la gauche (Libres et Égaux) sachant qu’à l’intérieur, il y a des divisions. Ce regroupement pèse 6 à 7 % des intentions de vote. De l’autre côté, il y a cette possibilité, d’un parti qui a beaucoup de points communs avec le M5S, la Ligue du Nord, créditée de 13 à 14 % des intentions de vote. Au passage, il détruirait la coalition de centre-droite (Forza Italie, Lega Nord et Fratelli d’Italia) pour prétendre gouverner l’Italie. Mais au final, le raisonnement le plus partagé est de penser qu’aucune majorité ne s’imposera d’elle-même au Parlement après le premier tour. Il va donc falloir trouver des compromis. Dans ce contexte, l’hypothèse d’une alliance M5S-Ligue du Nord reste improbable mais pas à exclure…
Ont-ils des points communs ?
Au moins trois, majeurs : la fermeté sur les migrants, la critique quasi-systématique des autres formations politiques, pour leur incapacité à gouverner et un dernier, qui est probablement l’enjeu fondamental des ces élections, le positionnement sur l’Europe, qu’ils rejettent tous les deux.
Inversement, qu’est-ce qui pourrait empêcher une alliance ?
La Lgue du Nord a déjà signé un accord avec Forza Italia et Fratelli d’Italia pour gouverner. Mais, au final, il n’engage que ceux qui y croient. De plus, une partie des membres du M5S, qui vient de la gauche, ne digérerait pas le fait de s’allier avec la Ligue du Nord.
Beppe Grillo vient-il de mettre un terme à sa carrière politique en annonçant son retrait ?
Il faut être prudent. Grillo n’a pas perdu son aura auprès des membres du M5S, loin de là. Il a pris ses distances, certes, mais on n’en a finalement pas trop parlé en Italie. Je crois que ça n’a pas encore vraiment pénétré l’esprit des électeurs et ça ne devrait pas impacter le vote pour le M5S.
De plus, s’il décide de revenir sur le devant se la scène en expliquant que Di Maio s’est trompé, il y arriverait en quelques minutes. Car il conserve son charisme, sa popularité, et sa notoriété. Au lendemain du 4 mars, si le M5S ne fait pas un aussi bon score qu’annoncé, et si le parti commence à se dire : « A-t-on adopté la bonne stratégie ? », alors Grillo balayera Di Mario du jour au lendemain.
Beppe Grillo pourrait donc miser sur la défaite de Luigi Di Maio ?
C’est une stratégie oui, pour relancer le M5S dans une attitude plus protestataire, ainsi renouant avec ses origines. Nous vivons une phase de transition du M5S qui se présente cette fois favori et non plus outsider. Ils veulent démontrer qu’ils sont plus compétents que les autres, car plus honnêtes, mais reposant sur la fiction d’une démocratie participative.
Propos recueillis par Julien Rebucci
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