Le 18 mars 2018, les Russes se rendront aux urnes pour l’élection présidentielle. Si Vladimir Poutine est largement en tête des sondages, des manifestations s’organisent dans les rues de Moscou. Mais quel poids a véritablement l’opposition face à l’homme fort du Kremlin ?
Dimanche 28 janvier, Alexis Navalny était arrêté à Moscou lors d’une manifestation réunissant plusieurs milliers de personnes sur la rue Tverskaïa, au cœur de la capitale russe. Figure majeure de l’opposition, l’avocat de 41 ans avait appelé au boycott de l’élection présidentielle du 18 mars, après avoir été jugé inéligible par le gouvernement en raison de condamnations pénales qu’il réfute.
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« Je suis ici pour montrer que ce n’est pas juste de ne pas laisser Navalny prendre part à l’élection », a déclaré à l’Agence France-Presse Alexandra Fedorova, manifestante de 27 ans. Dans 118 villes de province, des soutiens au militant anti-corruption ont également défilé, encerclés par d’importants effectifs policiers, sous le mot d’ordre : « Ce ne sont pas des élections, mais une duperie. »
La popularité du chef de l’Etat, qui règne en maître sur la Russie depuis sa première nomination à la présidence du Pays en 2000 dans un climat de polémiques, reste cependant considérable selon les estimations officielles (65 à 80 %). Des soulèvements sans conséquence pour Poutine ?
Deux oppositions
« Le système politique russe a toutes les apparences du pluralisme, au sens où à chaque élection, sont présents différents partis politiques qui tiennent des discours relativement divers », explique Anna Colin Lebedev, maître de conférence à l’Université Paris Ouest Nanterre. « Mais il faut distinguer l’opposition dans le système qui est considérée par les observateurs comme une opposition de façade et celle qui n’a pas accès à la compétition, dont Navalny est un exemple. »
Les voix appartenant à la première catégorie, »vont exprimer publiquement leur attachement à certaines valeurs, selon leur affiliation politique, communiste, extrême droite etc., mais de fait voteront toujours en conformité avec ce que le pouvoir propose », continue la spécialiste. Une diversité dont Poutine a besoin pour « que l’élection paraisse légitime. Leur rôle est orchestré à l’avance sans que cela ne mette réellement en danger le Président. »
En revanche, ceux qui voudraient s’opposer plus frontalement au régime sont évincés grâce à différentes techniques qui vont de « l’impossibilité d’enregistrer un parti politique, aux accusations de droit commun en passant par l’intimidation », précise-t-elle. Ces derniers sont « cantonnés à la marginalité alors qu’ils voudraient faire partie du jeu. »
« Pas de véritable bataille »
Malgré un taux d’abstention que l’on prévoit en hausse au regard des précédentes élections, « il n’y a pas de vraie bataille », analyse Tatiana Stanovaya, politologue à la tête du département analytique du Centre des technologies politiques. Et affirme que « Poutine a toutes les chances d’être élu à plus de 65% des voix. »
Si la spécialiste admet que les vagues de protestation générées par Navalny placent le gouvernement dans une position délicate car « utiliser la force mettrait en danger la légitimité des élections » quand le Kremlin souhaite éviter les vagues, elle remarque un relâchement de la pression exercée sur le contestataire ce qui prouve qu’il « n’arrive pas à mobiliser suffisamment de gens pour inquiéter Poutine. »
« Navalny est loin de faire l’unanimité, ce n’est pas une figure consensuelle », ajoute Anna Colin Lebedev. « Il agit en populiste et ne cherche absolument pas à fédérer une force d’opposition contre Poutine », poursuit-elle en référence aux libéraux de l’opposition qui considèrent que le boycott est une tactique vaine qui ne peut que renforcer l’assise de l’actuel Chef d’Etat.
Par ailleurs, « il est supporté par un public très jeune, une majorité d’adolescents qui rejettent la façon dont leurs parents les ont élevés, sont sensibles à son emploi des réseaux sociaux pour appuyer son discours mais n’ont pas forcément de véritables revendications politiques », détaille l’universitaire.
Paris Hilton russe
« La seule candidate à prendre réellement position contre Poutine est Ksenia Sobtchak », ajoute Anna Colin Lebedev. La campagne de la fille d’Anatoli Sobtchak, premier maire élu à Saint-Pétersbourg et ancien mentor politique de Vladimir Poutine, reste néanmoins sujette à controverse. « Lorsqu’elle a déclaré sa candidature, les gens l’ont taxée de ‘midinette’ et de ‘marionnette du Kremlin’ et elle sait qu’elle ne pourra pas gagner », admet la spécialiste, « mais la victoire n’est pas son objectif. Elle agit en journaliste plus qu’en véritable candidate en essayant d’introduire du débat dans cette élection qui risque d’être la plus apolitique que la Russie ait jamais connue. »
« Sobtchak est en marge de cette élection », confirme Tatiana Stanovaya. « Les gens ne la prennent pas au sérieux. Il s’agit d’une personnalité du show-biz, une ‘fille de’ qui a réussi grâce à l’influence de sa famille. Mais le plus important est qu’elle casse des règles. »
L’ancienne animatrice d’émissions télévisées, parfois surnommée la « Paris Hilton russe », intervient en effet dans les médias en abordant des sujets qui d’ordinaire en sont exclus, à l’instar des problèmes de corruption ou des prises de position de Navalny. « Ce qui n’a pas une influence directe sur les élections, poursuit Stanovaya, mais apporte un élément de réflexion à l’encontre du discours gouvernemental. Les électeurs ne vont peut-être pas voter pour elle mais ils vont réfléchir à ce qu’elle dit. »
Aucune ombre au tableau?
On ne peut comprendre les forces contestataires qui se jouent en Russie si on les compare à nos formes d’action. Il ne s’agit pas de « sortir dans la rue avec des slogans », analyse Anna Colin Lebedev en précisant que la campagne présidentielle n’est pas le « vrai moment » d’opposition mais qu’il faut être attentif à ce qu’il adviendra en aval :
« Est-ce que le message selon lequel il a été réélu légitimement passera auprès de tous les électeurs ? Si un élan de protestation apparaît quelle forme prendra-t-il ? C’est quelque chose qu’il est très difficile d’anticiper. »
Le contexte électoral est en effet, sensiblement différent de celui de 2012. La guerre en Ukraine, l’annexion de la Crimée et l’isolement face à l’Occident conjugués à la crise économique dessinent un paysage social particulièrement accidenté. « On voit aujourd’hui émerger des vagues de protestations en province parmi des catégories modestes dont le niveau de vie s’est fortement dégradé », poursuit l’universitaire.
« La contestation n’est pas forcement le lieu du changement social »
Cependant, A. Colin Lebedev tient également à relativiser l’opposition entre les partisans de Poutine et ses détracteurs. Bien que reconnaissant que les estimations officielles de popularité sont réalisées dans des conditions qui ne peuvent que les gonfler, la spécialiste précise qu’il « serait très réducteur de considérer que les pro-Poutine sont effrayés, passifs ou désintéressés pas la politique. Il y a un vrai ressort politique d’adhésion. »
Et conclut en invitant à observer de plus près les enjeux de cette loyauté envers le gouvernement : « La contestation n’est pas forcément le lieu du changement social, explique-t-elle. Par exemple, si les ONG s’opposent directement au gouvernement en l’accusant des maux de la société, ils peuvent avoir raison dans les faits, ils n’avanceront pas. Par contre, si vous êtes membre du parti Russie Unie [le parti de Poutine Ndlr.] vous obtenez des fonds qui vous permettent d’agir. Il faut donc s’intéresser à comment les gens réussissent à construire quelque chose avec le poutinisme. »
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