Depuis sa tanière des environs de Liverpool, l’ancien guitariste surdoué de The Coral a apaisé ses tourments et rebranche l’électricité. Critique et rencontre.
En 1996, à 13 ans, Bill Ryder-Jones devient le guitariste principal d’un petit groupe de copains qui ont tous grandi autour de l’estuaire de la Mersey, à deux pas de Liverpool. Avec une euphorie et une inconscience propres à leur âge, les ados de The Coral peaufinent leurs idées farfelues. Leurs concerts dans la région ne passent pas inaperçus.
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C’est en les découvrant sur scène qu’Alan Wills, décédé l’an dernier dans un accident de vélo, décida de sauter le pas au tout début des années 2000 pour créer son propre label, Deltasonic, qui devint par la suite la maison-mère d’une ribambelle de talents de cette région fertile. Pour une raison incompréhensible, The Coral ne décrocha pas la gloire que ses albums espiègles méritaient, mais le retour de la pop à guitares ne lui est pas étranger.
Aujourd’hui, la trentaine passée, Bill Ryder-Jones a conservé ses airs d’enfant perdu qui porte des fulgurances électriques inouïes sur ses frêles épaules. Depuis qu’il a quitté The Coral en 2008, hanté par des crises d’anxiété et d’agoraphobie, il a plusieurs fois fréquenté l’obscurité.
“J’ai eu un blocage mental quand j’avais 8 ans, donc je ne garde de mon enfance que des souvenirs très vagues. Mes parents avaient tous les deux leurs propres problèmes. Ils s’en sont sortis sans jamais en parler et ça peut être oppressant. Je ne vois pas ce qu’il y a de mal à dire que j’ai connu des périodes difficiles liées à la drogue, l’automutilation, la maladie.”
Pour se reconstruire, il se retranche chez sa mère
Il a beau s’exprimer à cœur ouvert sur ces expéditions dans les ténèbres, la pudeur et l’humilité ne quittent jamais cette âme sensible qui doit son salut à la musique. Pour se reconstruire, il se retranche chez sa mère, dans la chambre de son enfance, et se met à composer au piano des instrumentaux crépusculaires et des bandes-son pour des courts métrages, encouragé par Laurence Bell, le patron bienveillant du label Domino.
Conçu comme la bande originale d’un film imaginaire, If… (2011), son premier album solo, met soigneusement en musique chaque chapitre d’un roman d’Italo Calvino, Si par une nuit d’hiver un voyageur. Pour l’occasion, il s’accompagne d’un orchestre philharmonique, loin des lads de Liverpool. Le guitariste précoce s’est métamorphosé en un compositeur multi-instrumentiste.
En parallèle, il reprend confiance à travers plusieurs collaborations de taille. Il prête main forte à Alex Turner en posant sa guitare sur deux morceaux du Submarine ep, élaboré pour le film du même nom. Quelques années plus tôt, les deux Anglais avaient déjà joué ensemble pour une face B des Last Shadow Puppets. Plus récemment, ils se rejoignent sur un titre d’AM, le dernier album en date des Arctic Monkeys et, lors de la tournée qui s’ensuit, le groupe invite Bill Ryder-Jones à l’accompagner sur scène.
Bill a également travaillé avec Graham Coxon en 2011, sur une chanson pour une pub Converse. Il a aussi joué les intermédiaires pour présenter Anna Calvi, encore inconnue, à Laurence Bell qui s’empressa de la signer. Ces derniers temps, il a assuré la production de plusieurs albums, des Wytches à Hooton Tennis Club.
« J’étais à deux doigts de sortir un mauvais album, mais je me suis repris en main »
Son CV a de quoi donner le tournis, mais ne pas compter sur lui pour énumérer ses prouesses, torse bombé. D’une modestie touchante, Bill Ryder-Jones a toujours préféré rester dans l’ombre et poursuivre discrètement son échappée solitaire.
Sorti en 2013, A Bad Wind Blows in My Heart, son deuxième album sous son propre nom, s’éloigne des instrumentaux et du classique pour revenir vers des mélodies dépouillées, teintées de pop intimiste. Décomplexé, il devient un chanteur au timbre fragile, tendrement écorché, qui semble effleurer du bout des lèvres ses morceaux. Cette voix paraît plus apaisée sur son nouvel album, West Kirby County Primary.
“Mes deux premiers disques sont arrivés en l’espace de six mois, dans un grand flot de créativité. C’était différent cette fois. J’ai commencé par des demos et j’ai essayé de faire autre chose pour ne pas me répéter. Mais je me suis rendu compte que ça n’allait pas. Je n’y prenais aucun plaisir. Donc je suis reparti de zéro en ressortant les deux premiers morceaux que j’avais écrits depuis l’album précédent, Daniel et Satellites, qui parlent de sujets qui me tiennent à cœur. Je venais de passer six mois à boire sans doute un peu trop, à passer trop de temps sur les canapés de mes amis, au lieu d’être chez moi à écrire. J’étais à deux doigts de sortir un mauvais album, mais je me suis repris en main et j’ai recommencé à composer très rapidement. Il y a un côté très addictif dans cette énergie.”
Il a visiblement retrouvé la lumière sur ces nouvelles chansons qui rappellent autant la nonchalance chiffonnée de Pavement que les comptines patraques du Velvet Underground. Désormais entouré d’un groupe, il revisite les éclairs d’électricité de ses débuts avec souplesse et dextérité sur ces dix morceaux où la décontraction générale n’éclipse pas une part de douleur toujours palpable. You Can’t Hide a Light with the Dark, rappelle l’un des titres. Même quand il s’aventure vers des contrées sombres ou accidentées, le songwriting éblouissant de Bill Ryder-Jones brille dans le noir.
En concert le 10 décembre à Paris (Point Ephémère), le 12 à Lille, le 22 mai
à Paris (Zénith).
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