Le traducteur du mystérieux auteur américain, Nicolas Richard met en abyme la vie et l’œuvre dans un premier roman jubilatoire.
La Dissipation part d’un des travers de notre époque : le voyeurisme et son corollaire, la pipolisation, cette fâcheuse tendance à se focaliser davantage sur la vie d’un artiste que sur son œuvre. Le premier roman de Nicolas Richard s’intéresse au cas de Thomas Pynchon.
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L’auteur de V. est connu pour avoir décidé, dès qu’il commença à émerger sur les radars, de disparaître. Une volonté de rester anonyme qui suscita l’effet inverse : traques, harcèlement et autres désagréments le touchèrent.
Propulsé dès son premier livre au rang de mythe vivant, Thomas Pynchon a ainsi généré son lot de rumeurs, fantasmes, légendes urbaines. “Un collègue m’a raconté que P avait assisté au mariage de Bob Dylan, raconte ici le narrateur, mais comme il ne voulait pas qu’on le prenne en photo, il était venu à la fête en s’enfermant à l’intérieur d’une caisse sur roulettes.”
Sous-titré “roman d’espionnage”, La Dissipation met en scène une poignée d’individus disparates, ensorcelés presque malgré eux par l’écrivain américain, comme tant de ses lecteurs. Chacun s’obstine à sa façon, sans vraiment l’admettre, à pourchasser cette ombre, ce fantôme insaisissable.
Cinq personnages en quête d’auteur
Outre “le documentariste” – le narrateur –, il y a “le cinéaste” aux méthodes de paparazzi, qui traque tous ceux qui pourraient avoir un lien avec lui ; “le traître”, qui balance des infos contre rémunération ; “le traducteur”, qui aurait apparemment du lourd sur celui dont il a la charge de restituer la langue ; et puis “l’historienne”, dont la thèse porte sur l’implication supposée de Thomas Pynchon dans un collectif de la gauche radicale, le Weather Underground.
L’explication est donc ici d’un autre ordre que la thèse généralement avancée, celle d’un retrait permettant d’éviter les affres de la célébrité : “P” se planquerait depuis toutes ces années pour des motifs d’ordre politique. Une histoire d’espions dont on ne spoilera pas les tenants et les aboutissants par égard pour Nicolas Richard.
Il faut d’ailleurs souligner que ce dernier est peut-être le seul à respecter scrupuleusement le souhait de Thomas Pynchon, dont il est devenu le traducteur en France. Il a en effet l’élégance de ne pas nommer son sujet une seule fois, si ce n’est sous l’initiale P. Subtilité et prouesse d’un livre qui réussit à créer le portrait imaginaire d’un écrivain sans que celui-ci n’apparaisse jamais.
La Dissipation épouse ainsi la démarche même de Thomas Pynchon, cette aptitude à brouiller les frontières entre fiction et réalité, éléments avérés et hypothèses les plus folles. Les meilleures énigmes sont parfois celles qui demeurent irrésolues. Yann Perreau
La Dissipation (Inculte), 190 p. 17,90 €
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