Un groupe de jeunes défraye la chronique au Maroc depuis qu’il a tenté d’organiser un pique-nique en plein mois de ramadan. Ces militants espéraient dénoncer une loi condamnant les non-jeûneurs : ils se sont attirés les foudres des instances religieuses et de la société civile.
Elles voulaient jeter un pavé dans la mare, c’est chose faite. Quand Zineb El Rhazoui et Ibtissame Lachgar ont créé au début du mois de septembre le Mouvement alternatif pour les libertés individuelles (Mali), elles avaient conscience des risques qu’elles prenaient, mais n’avaient pas imaginé se retrouver à la une des journaux marocains, au cœur d’une polémique nationale. « Notre idée de départ était de dénoncer l’article 222 du code pénal marocain, qui condamne les musulmans ne respectant pas publiquement le jeûne du ramadan à de la prison, justifie Ibtissame Lachgar, 34 ans, psychologue clinicienne. Et nous voulions dénoncer l’hypocrisie qui règne ici, et qui autorise les musulmans à ne pas jeûner du moment qu’ils ne le disent pas et ne le montrent pas. Dans un pays censé respecter les libertés fondamentales des citoyens, il devrait être possible de ne pas pratiquer l’islam sans être inquiété. »
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C’est ainsi qu’est née l’idée d’organiser un pique-nique symbolique le 13 septembre dernier, et de faire passer le mot via la page Facebook de Mali, qui réunit à ce jour 1708 membres. Un repas qui n’a jamais vu le jour : à l’heure du rendez-vous fixé à Mohammedia (une ville située entre Rabat et Casablanca), une centaine de policiers attendaient les quinze militants ayant répondu à l’appel et les ont obligés à rebrousser chemin. Six membres du mouvement, dont les deux fondatrices, ont alors dû décliner leur identité et ont été interpellés dans les jours qui ont suivi, pour « tentative d’incitation à la rupture du jeûne en public ».
Immédiatement, la presse marocaine s’est emparée de l’affaire, qui secoue l’opinion publique autant que les autorités religieuses. Dans un communiqué publié au lendemain du pique-nique avorté, le conseil des oulémas de Mohammedia a condamné l’initiative et jugé l’acte « odieux, qui défie les enseignements de dieu et du prophète avec tout ce qu’il engendre comme sanction grave ». « On était peut-être naïfs, mais on n’a rien vu venir, poursuit Ibtissame Lachgar. Bien sûr, on savait que notre action en choquerait plus d’un, mais on avait pris le soin d’organiser le pique-nique dans une forêt pour ne pas offenser les jeûneurs. On voulait ouvrir un débat pour faire changer les choses, pas tomber dans la provocation gratuite. En arabe Mali signifie « qu’ai je de différent ? »
Sur Facebook, les militants de Mali doivent aujourd’hui faire face à un flot de messages, la plupart venant de leurs détracteurs, certains allant même jusqu’à proférer des menaces de mort. Convoqués à plusieurs reprises par la police de Mohammedia, les membres du groupe devraient pour l’instant échapper à des poursuites judiciaires et à la prison. Mais depuis quelques jours, c’est autre chose qui les préoccupe tous: la cofondatrice de Mali, Zineb El Rhazoui, n’a plus donné de nouvelles depuis le 16 septembre. La jeune femme de 27 ans, ex-journaliste à Casablanca, avait dans un premier temps coupé son portable pour éviter tout harcèlement, mais communiquait avec ses proches par email. Tous ont été étonnés de ne pas la voir se présenter au commissariat, mais ont d’abord pensé qu’elle se cachait par peur des représailles, ayant été très exposée dans les médias. Au bout de trois jours sans aucun contact, sa sœur Nora, qui vit en France, a pourtant décidé de donner l’alerte. « Quand j’ai appris que plus personne n’avait de nouvelles, je me suis mise à angoisser, souffle-t-elle. Vu que nous avons la double nationalité, française et marocaine, j’ai appelé le Quai d’Orsay pour leur signaler sa disparition. »
De leur côté les militants de Mali attendent la fin de la tempête médiatique pour reprendre leur action. « On a touché à un sujet très sensible, mais ce n’est pas la première fois que ça arrive, conclut Ibtissame Lachgar. On espère tous que ça finira par passer, mais on est bien décidés à continuer. »
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