A l’occasion de son passage à la Maroquinerie de Paris, Mùm nous a gracieusement accordé une interview. Gunnar Örn Tynes parle de l’évolution du groupe, du nouvel album Sing Along to Songs You Don’t Know ainsi que de son enfance en Islande. Et en bonus : le single Sing Along en écoute.
Mùm, 8 septembre 09, Paris, Maroquinerie
Deux ans ont passé depuis le dernier album, à quoi vous êtes-vous occupés ?
On a passé la plupart du temps en tournée, quand on finit un album, la tournée et les répétitions qui suivent prennent pratiquement un an ; donc après la tournée du dernier album, on avait le même groupe et l’atmosphère était vraiment bonne, nous étions tous heureux et pleins d’entrain, on était très excités à l’idée de faire un album dans la foulée, donc après un an de tournée on a commencé à travailler sur l’album directement. C’est totalement inédit pour nous, de continuer sur notre lancée, et vraiment amusant pour le coup. C’est la même formation que celle qui a fait la tournée de Go Go Smear, Olaf a eu un bébé juste après avoir fini l’album et n’a pas pu faire la tournée, donc on a embauché Robbi, le guitariste, qui est maintenant sur cet album.
En ce qui concerne l’élaboration de l’album, où l’avez-vous imaginé?
Il y a une chanson sur cet album (Illuminated) qui avait en fait été écrite pour le précédent mais qu’on avait pas eu le temps de terminer, et elle nous a servi de point de départ ; on a écrit la plupart des chansons sur une période de trois ou quatre mois, Örvar et moi écrivons généralement les chansons mais on a pas vraiment de routine, on aime aller dans des endroits très différents.. Une partie a été composée à NY dans la maison d’un ami, Adam Pierce, qui s’occupe de sortir notre album aux USA, il a beaucoup de pianos, d’harpes et d’autres instruments, c’est un bon endroit pour tester des choses. On en a aussi fait une partie en Islande l’hiver dernier, j’ai en quelque sorte subtilisé la maison d’été de mes parents, à une heure de Reykjavik, j’ai tous mes instruments là-bas, et pas besoin de s’isoler puisqu’il n’y a juste personne aux alentours, c’est très calme et on peut faire tout le bruit qu’on veut, on en a composé une bonne partie là-bas. Et on en a fait un bout aussi en Estonie, on a fait un très très beau festival là-bas, un petit festival, et comme ils ne pouvaient pas nous payer beaucoup, on jouait le mardi et on ne rejouait que le vendredi en Finlande, ils nous ont proposé de rester cinq ou six jours, ce que nous avons fait, et on a écrit deux ou trois chansons là-bas ; on en a même enregistré une là-bas, de façon très simple, écrite et enregistrée au même endroit, on a fait pas mal d’enregistrement de chœurs aussi, même si on a pas tout gardé.
Parlez-moi de la façon dont vous travaillez, en studio, tout ça…ça ne doit pas être facile de gérer un groupe de sept personnes !
C’est assez difficile à expliquer, probablement parce qu’on a pas vraiment de routine ou façon de faire récurrente. Comme je l’ai dit, Örvar et moi écrivons les chansons, donnons naissance à quelque chose, puis on invite le reste du groupe, généralement un par un, on prend quelqu’un, on enregistre tout ce qu’il veut, parfois on a une idée précise de ce que l’on veut, d’autres fois strictement aucune et on leur laisse une totale liberté, on est pas des boss très stricts ! Et puis de toute façon, au final, on enlèvera ce qu’on ne veut pas, on mélangera tout ça pour en faire ce qu’il nous plait ! Mais on accorde vraiment beaucoup d’importance à cette liberté de création de chacun. Parfois, il y a des chansons qui s’écrivent d’elles-mêmes, certaines prennent beaucoup de temps mais d’autres sortent juste comme ça, très naturellement, et la façon dont nous procédons est très aléatoire, c’est souvent en expérimentant des choses, en s’intéressant à quelque chose en particulier. Sur cet album par exemple, on était assez obsédé par l’idée de rajouter quelque chose dans le piano directement, pour que ça ne sonne plus comme un piano, et beaucoup du travail sur cet album a touché à cette volonté de rajouter des effets, mettre quelque chose sur les cordes ou ailleurs, pour en modifier le son originel, je voulais vraiment changer le caractère du son à l’enregistrement, bien sûr on fait beaucoup de trucs sur ordinateur a posteriori, mais c’était un genre de grosse expérience, manipuler le son avant de l’enregistrer, ça nous a beaucoup plu.
Qui chante sur cet album ?
C’est principalement Örvar, Silla et Hildur. Örvar écrit les paroles, toutes les paroles, on travaille ensemble les lignes vocales, parfois elles sont déjà dans la musique, on les en extrait et on en fait des mélodies, parfois elles mettent beaucoup de temps à émerger, changent beaucoup tout au long du processus. J’ai quelques parties de chant sur cet album mais j’ai toujours eu la phobie de chanter, j’essaye de bosser là dessus !
Est-ce que ça vous arrive d’enregistrer avec tout le groupe en même temps dans le studio, comme une prise live, ou est-ce que vous enregistrez toujours chaque partie isolément avant de tout mixer ?
On a fait quelques sessions comme ça mais généralement ce sont des chansons qu’on connaît déjà bien et qu’on rejoue comme ça, pas une première prise. Le problème c’est qu’on vit dans des endroits différents, un à Berlin, l’autre à Helsinki, un autre aux Pays-Bas…donc on fait plus du un par un ; et aussi parce qu’on travaille un peu différemment que la plupart des groupes, certains groupes écrivent leurs chansons, les répètent, les jouent live jusqu’à qu’elles soient au point et seulement après ils les enregistrent, nous on préfère les écrire, les produire, les enregistrer et seulement après les jouer live, une fois que la chanson est prête on trouve une nouvelle façon de la jouer en live, une nouvelle approche.
Est-ce que la façon de faire cet album a été différente par rapport aux précédents ?
Je crois que c’est vraiment différent pour chaque album. Je ne sais pas comment les gens le perçoivent mais pour moi chaque album est vraiment différent, a un caractère unique. Même si la façon de le faire reste assez similaire, notre approche de la musique change parce que nous évoluons. Je crois que la meilleure façon d’illustrer ça c’est de le penser comme si on trouvait un nouvel instrument : on en aime le son mais on sait pas comment en jouer, ce qui dégage énormément d’énergie, de créativité née de l’exploration de cet instrument, et pour nous, beaucoup de créativité provient de cette exploration, de chercher des solutions, ne jamais être très sûrs de ce que l’on est en train de faire, c’est comme un jeu en somme !
Vous avez essayé de créer vos propres instruments ?
Oui on a tenté ! Mais c’est vraiment difficile de fabriquer un instrument qui soit vraiment jouable, c’est facile avec les ordinateurs, on a beaucoup fait ça. Robbi, le guitariste, fait pas mal d’effets sur sa guitare, et on reste toujours très ouverts à de nouvelles façons de faire les choses.
Qu’aviez-vous l’intention de garder de vos précédents albums, et qu’avez-vous voulu changer ou faire évoluer ?
C’est assez difficile pour nous de penser ça en ces termes parce qu’on ne réfléchit pas avant de faire un album, enfin, bien sûr on réfléchit un peu mais on ne décide jamais d’à quoi on veut qu’il ressemble, on attache beaucoup d’importance au fait de laisser les choses aller là où elles veulent aller, on se « contente » d’en tirer le meilleur. Beaucoup de ce que nous faisons est inconscient, on préfère mettre quelque chose en chantier et voir comment ça évolue, je pense que c’est cette approche là qu’on a voulu garder, ne pas être trop sérieux à propos de ce que l’on fait, ne pas essayer de faire un album pop ou rock ou facile à vendre, on retire bien plus de satisfaction à faire de la musique qu’on aime jouer.
Comment est-ce que vous choisissez les chansons ?
En général on fait quelques chansons de plus que ce qui finira sur l’album, et on ne choisit que vers la fin. Parfois on pense qu’une chanson va être géniale et puis ça ne se passe pas comme ça au fur et à mesure, on choisit les chansons qui vont le mieux ensemble, que l’ensemble soit cohérent. On essaye de rester éloigner de l’idée de faire un album bourré de plein de chansons, on est resté à l’époque des vinyles à double face avec une identité et des sentiments propres.
Comment choisissez-vous le nom des chansons, qui sont souvent pour le moins…inattendus ?
Des fois c’est juste quelque chose dont on était en train de parler en enregistrant la chanson, la plupart des morceaux ont un autre nom, si vous regardez la set list, on les appelle différemment que sur l’album, mais c’est souvent quelque chose d’assez proche ou qui a un certain lien ; des fois quelqu’un arrive avec un truc marrant en tête, ou alors c’est directement pioché dans les paroles…ça dépend des morceaux.
Comment vous sentez-vous sur scène ?
Extraordinairement bien, j’adore ça ! C’est une partie très importante de ce que nous faisons, cette connexion avec les gens.
Qu’est-ce qui change dans les version live des morceaux ?
Il y a énormément de petites choses sur la version album, si on écoute avec un casque on peut entendre une foule de sons qui vont et viennent, quand on fait un album on peut avoir une résolution du son bien plus pointue, on peut y mettre bien plus de choses, avoir un spectre sonore bien plus large, plus de détails ; quand on joue en live, on concentre nos efforts sur l’énergie brute de la musique. En général on finit les chansons avant de partir en tournée et il arrive souvent qu’après avoir joué un morceau d’une certaine manière on se demande pourquoi on a pas pensé à rajouter ça ou ça sur l’album, on redécouvre nos propres morceaux qui évoluent. Mais ça fait un moment qu’on a dans l’idée de faire un album live parce que les morceaux sonnent vraiment différemment.
Comment vous êtes-vous rencontrés ?
Örvar et moi nous sommes connus dans un autre groupe, on faisant un genre de rock, inde…on était tous les deux tellement enthousiastes à l’idée de faire de la musique, alors que la plupart des membres du groupes répétaient un peu puis partaient au café, alors qu’on restait tous les deux une fois tout le monde parti…c’est comme ça qu’on a commencé, dans le garage où on répétait, puis chez l’un ou chez l’autre, à se montrer ce qu’on avait imaginé, sans forcément penser à former un groupe, c’était juste l’enthousiasme de partager quelque chose qui nous tenait vraiment à cœur…et c’est comme ça que tout a émergé, on bidouillait des trucs sur nos ordis, en ce temps-là on pouvait pas enregistrer les instruments directement sur les ordinateurs pour les retravailler directement, c’était tout en midi et tout ça. On a fait quelques trucs, on est allé en studio enregistrer une maquette de quatre ou cinq chansons . Après ça on nous a demandé de composer la musique pour une pièce de théâtre d’un atelier du coin, et on a demandé à ces gens si certains jouaient d’un instrument, c’est comme ça qu’on a rencontré Eiki, Hildur et les jumelles (ndlr : qui ont quitté le groupe depuis). On était tous sur la même longueur d’onde, les jumelles étaient toujours intéressées pour essayer des trucs et trainaient toujours dans les parages donc elles ont rejoint le groupe vers la fin de l’enregistrement du premier album.
Quelles étaient vos ambitions à l’époque ?
Juste faire de la musique, on avait pas de réelle ambition ou plan de carrière, on n’aurait jamais pensé être signés par un label en Angleterre ou aux USA.
Est-ce que c’est toujours ce qui vous motive, faire la musique que vous aimez ?
Bien sûr ! Et je pense que c’est la chose la plus importante pour nous, on ne veut surtout pas se perdre dans un espèce de monde faussé par de grandes ambitions. Faire des choses que l’on prend plaisir à faire, c’est notre seul projet, personne ne nous dicte ce qu’on doit faire, on a des maisons de disque mais on fait les choses selon nos propres termes, ça peut être très difficile de travailler avec quelqu’un sur le dos toujours à dire « tu devrais faire quelque chose de plus accessible, plus commercial….bla bla bla », beaucoup de gens pensent savoir ce qu’il est bon de faire, et ils ont peut être raison, mais je reste convaincu que les gens doivent faire ce qu’ils ont envie de faire.
Comment voyez-vous vos premiers albums aujourd’hui ?
Je les adore ! C’est un peu nos bébés, on ne peut pas vraiment dire du mal d’eux, on a un respect aveugle pour eux, même s’ils ne sont pas aussi jolis qu’on le voudrait ou quelque chose dans le genre. C’est pareil avec notre musique, au départ il faut être très doux, faire bien attention à ce qu’ils naissent et grandissent de la bonne façon, mais une fois qu’ils ont grandit, ils ont leur propre vie, même si on les a crées, on ne peut rien en dire, ils ont leur propre existence modulée par ceux qui les écoutent, c’est hors de mon contrôle, et c’est un sentiment assez étrange : on a un total contrôle au départ et puis le temps fait son œuvre et ils évoluent seuls.
Quel genre d’enfant étiez-vous?
J’avais besoin d’énormément d’attention, un perpétuel « hey, regardez moi ! ». Un sacré numéro, mais sans jamais être une terreur, je me tenais toujours bien, j’étais plutôt cool comme gamin, mais pas timide pour un sou, toujours en train de me faire des copains, de parler à tout le monde, j’étais très désinhibé.
Est-ce que pensez être encore des enfants quand vous jouez ou faites de la musique ? Est-ce que vous voyez ça comme une affaire d’adultes ou est-ce que la musique à quelque chose d’enfantin ou ludique au final ?
Oui complètement ! Pas mal de gens pensent qu’on est de grands gamins, qu’il y a vraiment quelque chose de très enfantin chez nous. Je pense que c’est ce côté ludique, cette envie de s’amuser avec la musique qui donne cette impression : si vous allez dans des endroits où les gens jouent de la musique, comme des tribus ou des sociétés « primitives », les gens jouent de la musique au sens propre, ils « jouent », c’est quelque chose d’excessivement ludique, on s’amuse comme des gosses ; mais les gens sont habitués à une image auto-produite de la musique actuelle qui se prend très au sérieux, ça ne me dérange pas, mais je reste persuadé que l’essence de la musique reste son côté ludique, prendre du plaisir à ce que l’on fait, et ne le faire que pour vraiment s’y retrouver, taper dans les mains, chanter à tue-tête, peu importe ! Et c’est vraiment relié à l’enfant qui est en nous, c’est peu être en ça qu’on nous voit comme de grands enfants, même si on est des adultes assurément, peut être des adultes qui savent jouer comme des enfants ! J’aimerais pouvoir prêcher ça à tout le monde !
L’endroit le plus étrange ou inattendu où vous avez joué ?
J’ai un souvenir très étrange d’un concert, quelque part en Suisse dans une ville minuscule, je ne me souviens même pas du nom. C’était un festival médiéval, il y a avait des chevaliers partout, et un château, et des joueurs de luths et tout ça…et nous au milieu, on était le seul groupe ou presque ! C’était vraiment bizarre.
Propos recueillis par Arnaud Pauchenne
Vous pouvez télécharger Sing Along, single extrait du dernier album de Mùm Sing Along To Songs You Don’t Know sur ce site.