Ressortie d’une pépite italienne des années soixante. A travers quatre prostituées qui veulent s’émanciper, une vision de la condition féminine à la fois sombre dans le propos et solaire dans le style.
Grâce à la société Les Films du Camélia, on continue de (re)découvrir l’oeuvre remarquable d’Antonio Pietrangeli, cinéaste méconnu en France, prématurément décédé d’une noyade à l’âge de 49 ans, et qui fit ses premières armes dans le néo-réalisme d’après-guerre en collaborant à des scénarios pour Rossellini, Visconti ou Lattuada, avant de passer lui-même à la réalisation (plus d’une dizaine de films, ce n’est pas rien). Par son sujet, Adua et ses compagnes fait penser au Plaisir de Max Ophuls ou à La Rue de la honte de Kenji Mizoguchi : Adua et ses trois copines sont putes, et à la fermeture de l’établissement où elles sont employées, elles décident de se mettre à leur propre compte, à la campagne, et en ouvrant une trattoria en guise de couverture « honorable » (l’Italie des années cinquante ne badinait pas avec la morale catholique) : ce sera donc bons petits plats au rez-de-chaussée et dans le jardin, passes discrètes à l’étage.
Des filles de joie en peine
A travers ces quatre femmes exerçant le « plus vieux métier du monde », Pietrangeli reste fidèle à l’essentiel de son oeuvre : brosser un tableau de la condition féminine dans l’Italie de l’après-guerre en se plaçant résolument du côté des femmes, de leurs aspirations et de leurs tentatives d’émancipation. Adua combat le temps à l’approche de la quarantaine ; Marilina est écartelée entre sa profession et sa condition de jeune mère d’un petit garçon ; Caterina est délicatement courtisée par un soupirant mais ne peut envisager le mariage au vu du nombre d’hommes passés dans son lit… Chacune vit un dilemme dramatique particulier dont le point commun est la pression exercée par l’hypocrisie d’une société catholique, patriarcale et capitaliste (qui rime parfois avec mafia). Dans cette Italie-là (mais ça vaut pour d’autres pays et d’autres époques), on méprise officiellement les putes tout en ayant volontiers recours clandestinement à leurs services.
Quasi-prophétique
Au-delà de cet aspect politique, social et sociétal, Pietrangeli s’affirmait comme un vrai bon cinéaste par la chair dont il savait nourrir ses personnages, sa façon de placer de nombreuses scènes n’obéissant pas à la progression dramaturgique mais prenant le temps de regarder vivre les protagonistes, ses doses d’humour allégeant une tonalité fondamentalement dramatique, ses plans longs, son noir-et-blanc solaire, sa délicieuse bo jazzy lounge… Passée l’étrangeté d’entendre Simone Signoret ou Emmanuelle Riva doublées en italien (elles sont toutes les deux magnifiques, de même que Sandra Milo, Gina Rovere et Marcelo Mastroianni), on déguste ce film comme une savoureuse madeleine dont le goût se situe quelque part entre le drame néo-réaliste et la comédie italienne et dont le féminisme sensible revêt aujourd’hui un caractère quasi-prophétique.
Adua et ses compagnes d’Antonio Pietrangeli, avec Simone Signoret, Emmanuelle Riva, Marcello Mastroianni (It, 1960, 1h45)