Avant de mourir, J. G. Ballard signait avec La Vie et rien d’autre , son autobiographie : de son enfance à Shanghai à ses enfants qu’il a élevés seul, il analyse la genèse de toute son oeuvre. Lucide et fort.
De J. G. Ballard, maître de la science-fiction, devenu culte dès les années 80 et disparu le 19 avril, on croyait tout connaître ou presque. Loin de cultiver le mystère façon Salinger ou Pynchon, l’auteur de Crash! a distillé dans de nombreuses interviews et autres préfaces les clés d’interprétation d’une oeuvre à travers laquelle il n’a cessé d’ausculter les convulsions de la société de consommation.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Les inconditionnels de Ballard seront peut-être déçus en ouvrant La Vie, et rien d’autre, ses mémoires parus en Grande-Bretagne peu avant sa mort. Sans surprise, la première partie est consacrée à son enfance à Shanghai et surtout aux deux années d’internement dans un camp japonais durant la Seconde Guerre mondiale, expérience déjà longuement disséquée dans Empire du soleil, roman semi-autobiographique adapté par Steven Spielberg. Mais il ne faut surtout pas s’arrêter à cette impression de “déjà-lu”. Ce serait passer à côté de l’autoportrait qui se dessine en creux et dans lequel l’écrivain cérébral, obsédé par le changement et les catastrophes qu’il induit, s’efface derrière James Graham Ballard, personnalité sensible et attachante.
Au moment où il écrit ce livre, Ballard sait qu’il est condamné. Est-ce cette conscience aiguë d’une fin imminente qui libère sa parole et lui confère des accents plus personnels ? Il n’hésite pas en tout cas à livrer, certes avec beaucoup de pudeur et un sens de la distanciation très “british”, ses sentiments les plus intimes, comme son amitié indéfectible pour Kingsley Amis, malgré les mesquineries et la misanthropie de l’auteur de Jim-la-Chance dans ses dernières années. Il évoque aussi, dans des pages touchantes mais jamais mièvres, l’amour qu’il porte à ses trois enfants Fay, Bea et Jim, qu’il a élevés seul après la mort de sa femme. Là aussi, que les fans se rassurent, La Vie, et rien d’autre n’est pas un remake de L’Art d’être grand-père. Ballard a trop d’humour et de recul pour pontifier. Il se raconte plutôt comme la version masculine et un brin imbibée d’une “desperate housewife” atterrie dans la banlieue de Londres.
Surtout, cette vie de famille presque rangée lui a permis de gérer les tensions de sa vie d’écrivain, ses tâtonnements lents et parfois douloureux pour renouveler la SF en l’ouvrant sur l’“espace intérieur” et les névroses contemporaines. Il y parviendra réellement en 1973, avec Crash!, “sorte d’hymne aux psychopathes” amateurs d’orgasmes sur tôle froissée, où il attaque “le consensus selon lequel la violence en général, et la violence sexuelle en particulier, répugnait à l’être humain”. Ballard offre alors une analyse très fine de la réception de Crash!, mieux accueilli par les Français, selon lui, du fait de “leur longue tradition de subversion artistique”, et revient sur le scandale cannois dû à “l’adaptation élégante” de Cronenberg auquel il voue une sincère admiration, beaucoup moins perceptible quand il s’agit de Spielberg. Machine trop lourde et imposante, le cinéma semble d’ailleurs lui avoir inspiré davantage de méfiance que de fascination, ce qui ne l’a pas empêché d’avoir l’oeil et de repérer, dès 1991, un jeune réalisateur : Quentin Tarantino.
Ce don de l’anticipation, cette prescience, Ballard ne s’en glorifie jamais, mais c’est pourtant ce qui ressort avec force de La Vie…, introspection modeste et subtile intitulée en anglais “Les Miracles de la vie” – quand l’amour, les enfants, ont autant nourri Ballard que ses pires abominations. Sans cet équilibre, il n’aurait sans doute pas porté un regard aussi lucide sur les maux de l’époque ainsi que sur lui-même.
La Vie, et rien d’autre (Denoël), traduit de l’anglais par Michèle Charrier, 280 pages, 18,90 €. En librairie le 15 octobre.
{"type":"Banniere-Basse"}