Le comédien français fait son grand retour dans la série très réussie d’Olivier Marchal, diffusée Canal Plus.
Les flics à la télé française : la coupe est pleine. L’abus que font les séries hexagonales de ces personnages vus et revus est au minimum le symptôme du manque d’imagination des chaînes qui croient encore que pour parler de la société, le filtre (et la pipe) du commissaire serait la porte d’entrée fumeuse. Police district, Engrenages, A cran, Flics, Commissaire Moulin, Navarro, Central Nuit, PJ, La Crim’, Une femme d’honneur, Les enquêtes d’Eloïse Rome, Les Bleus, Julie Lescaut, Léa Parker…, depuis dix ans, avec plus ou moins de maîtrise, les séries ont usé jusqu’à la corde (raide) le genre, que les Américains, eux, ont su renouveler (The Shield, The Wire…).
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Dans ce paysage saturé, une figure singulière surgit aujourd’hui : Eddy Caplan, flic dans un service de PJ en banlieue, héros de l’efficace série d’Olivier Marchal, Braquo. L’incarnation qu’en fait Jean-Hugues Anglade le place au-dessus du lot des habituels flics cathodiques. Dans cette série noire comme le charbon de bois, où la conscience malheureuse du flic se noie dans sa mauvaise vie, où les bandits ressemblent à s’y méprendre aux policiers, où chacun sauve sa peau comme il peut, Anglade brille comme un astre mort dans la nuit.
Il file, pile, court sans cesse, derrière le mal qu’il prétend vaincre, derrière lui-même qu’il prétend sauver. Il court, mais avec un autre flic à ses trousses : l’inspection générale des services veut le coincer et en finir avec ses coups hors des clous. C’est cette scène primitive qui résume le propos de la série : un flic pourchasse un flic qui pourchasse un malfrat. Tous se tiennent dans un même élan, un mouvement perdu et asphyxiant.
Le tableau à la fois réaliste, violent et esthétisé d’une certaine réalité du quotidien policier trouve dans la sérialité la tension qui manquait aux longs métrages de Marchal. Ici, tous ses personnages, y compris secondaires (Nicolas Duvauchelle, Joseph Malerba, Karole Rocher…) prennent à mesure du chaos qui avance une épaisseur romanesque émouvante. Anglade, à bout de souffle, se préserve de la tentation d’écraser son rôle sous des tics de mâle surexcité et lui insuffle surtout la marque d’un animal blessé, dont on devine les cicatrices plus qu’il ne les surexpose.
De L’Homme blessé de Chéreau à Nocturne indien de Corneau, de La Reine Margot de Chéreau bis à Villa Amalia de Jacquot, de 37°2 de Beineix à Nelly et Monsieur Arnaud de Sautet, Anglade a toujours aimé flotter dans ces eaux troubles, entre calme et furie, entre douceur et inquiétude. Ses meilleurs rôles révèlent sous la tranquille écume de ses jours une agitation de bête nocturne. Pas véreux mais poreux (avec le mal, l’illégalité), il impose dans Braquo un sens de la fusion entre l’animalité d’un corps en transe et la fébrilité d’une âme en perdition. En flic, il est tellement bon qu’il prolonge l’expérience dans le nouveau téléfilm de Josée Dayan, adapté du livre de Fred Vargas par Emmanuel Carrère, L’Homme aux cercles bleus, dans lequel il épouse un registre plus effacé mais aussi plus lumineux.
Aux côtés de Charlotte Rampling, Jean-Pierre Léaud et Jacques Spiesser, il reprend le personnage du commissaire Adamsberg, « grassouillet mais gracieux », qui pourrait être la face claire et apaisée, du Caplan torturé de Braquo. Les flics, lorsqu’Anglade les incarne, sont magnétiques, comme la nuit qui les abrite et les menace.
Braquo sur Canal +, série (8X52) tous les lundis à 20h50
L’Homme aux cercles bleus sur France 2 le mercredi 28 octobre à 20h40
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