L’union de la gauche de la gauche se dessine, constate Clémentine Autain. Manque encore une vision globale et des stratégies offensives.
Quel statut donnez-vous à votre réflexion dans Transformer, à gauche : un manifeste, un programme, un condensé de vos années d’activisme ?
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
C’est un livre que j’ai écrit à partir de mon expérience de plus de douze années d’engagement. Il s’inscrit dans le débat actuel sur la refondation et la recomposition à gauche. Il faut mettre des idées et des conceptions stratégiques sur la table. Je crois que la gauche crève de ce manque de vision globale, d’une panne de perspectives, d’un manque de souffle. Je plaide pour l’unité de l’autre gauche et l’exigence de novation. Après les échecs du XXe siècle, nous devons repenser les clivages et renouer avec le principe d’espérance. Cela demande de l’expérimentation sociale et politique mais aussi une réflexion intellectuelle.
L’unité de la gauche de la gauche, à laquelle vous appelez, est-elle possible ?
Elle est nécessaire. L’échec de la candidature unitaire en 2007 a donné lieu à un concours de nains politiques. Avec trois candidatures – Bové, Besancenot, Buffet –, on n’était pas dans une dynamique qui permettait de peser, de bousculer la donne. Il faut se mettre en situation de créer une force suffisamment large, cohérente et diverse pour disputer l’hégémonie au PS. Tant que nous serons divisés, la gauche molle continuera de mener la danse et nous ne réussirons pas à battre durablement la droite, à transformer la société. En même temps, malgré les échecs, je reste frappée par la permanence du désir d’unité. Depuis les “comités Juquin” de 1988, le besoin de rassemblement et de refondation de la gauche d’alternative n’a cessé de se manifester…
Qu’est-ce qui vous semble encourageant aujourd’hui dans cette stratégie d’unité ?
Je constate que nous avons avancé sur le fond : les divergences étaient il y a dix ans plus fortes et nettes entre les membres du PCF, de la LCR, les écolos radicaux, la gauche du PS… Aujourd’hui, ce qui nous rassemble en termes de contenu est nettement supérieur à ce qui nous divise. Nous parlons globalement la même langue, tournée vers l’émancipation humaine et la dignité des catégories populaires. Pêle-mêle, nous défendons l’augmentation du smic et des minimas sociaux, la taxation des profits, la lutte contre le consumérisme, la défense et l’extension des services publics, la sécurisation des parcours professionnels, la régularisation des sans-papiers, un changement des règles démocratiques, la maîtrise publique de l’énergie, etc. On est ensemble dans de très nombreuses luttes sociales. En revanche, la question stratégique continue d’alimenter les divergences. Il y a ceux qui mettent l’accent sur la quête de majorité politique et ceux qui insistent sur l’indépendance par rapport au PS. Je pense pour ma part qu’il y a des points de rencontre possibles. Je crois à la fois au besoin d’indépendance et à la nécessité de se projeter dans des majorités politiques. L’enjeu est de reposer ensemble les conditions de l’indépendance vis-à-vis du PS et de changer les rapports de force à gauche.
Qu’apporte selon vous Europe Ecologie à la gauche ?
Cohn-Bendit a recentré l’écologie politique : il assume le cadre de l’économie de marché et flirte avec le MoDem. Mais Europe Ecologie est un mouvement divers, récent, dans lequel il existe des sensibilités proches de l’autre gauche, critiques vis-à-vis du néolibéralisme. Il n’est pas question de bâtir une frontière étanche avec eux ! Mais aujourd’hui, ce mouvement doit clarifier ses positionnements. Pour ma part, je ne crois pas qu’un rassemblement centré sur le parti pris écologique puisse permettre une juste articulation du social et de l’écologie.
Dans votre livre, vous appelez à rompre. Avec quoi ?
Avec la logique capitaliste et productiviste. Mais rompre, c’est aussi repenser la stratégie : il faut renouveler l’articulation entre réformes et révolution. Je ne crois pas au Grand Soir mais la réforme n’a de sens que si elle est arrimée à une vision révolutionnaire. Je crois à la tension nécessaire entre radicalité et quête de majorités ; si l’on perd l’un des deux, on ne peut pas transformer les conditions de vie.
Vous vous nourrissez des sciences sociales ; cela ne semble pas être le cas de la majorité des responsables politiques.
Intuitivement, j’ai l’impression qu’il y a une baisse du niveau intellectuel dans le monde politique… Dans les années 70, il existait une porosité plus forte avec les milieux intellectuels et culturels. Peut-être est-ce en train de revenir, avec l’émergence des clubs de réflexion. Mais jusqu’ici, les politiques lisent trop peu les sciences sociales. Les intellectuels sont souvent effarés que la gauche ne les sollicite presque pas. Or nous avons besoin d’eux, comme de ce qui s’invente dans les mouvements sociaux.
Quelles sont les expériences politiques qui ont marqué vos années d’activisme ?
Personnellement, il y a Mix-Cité, la Fondation Copernic, mon expérience comme élue à la Ville de Paris, les collectifs antilibéraux. Les événements sociaux et politiques qui m’ont le plus marquée sont les grèves de novembre-décembre 1995, et surtout les révoltes de 2005 dans les banlieues, qui furent pour moi un choc tant fut révélée l’atonie de la gauche et son incapacité à donner du sens à un événement au coeur des problèmes sociaux, des questions de discriminations et des enjeux de territoire. Je pense aussi à la lutte contre le CPE, victorieuse ! Et au mouvement du LKP, expérience politique passionnante en Guadeloupe, par la convergence du social, du politique, du culturel.
{"type":"Banniere-Basse"}