Plus d’un an après sa sortie, le jeu de plateforme mobile du Japonais Hiroyoshi Oshiba rencontre un succès inattendu à la suite de l’apparition sur Twitter d’une vidéo de ses premiers niveaux dont la difficulté ahurissante confine à la perversion. Où le joueur acquiert vite la certitude que “Trap Adventure 2” et son créateur le détestent. Mais il pourrait bien se tromper.
C’est un sentiment que la plupart des joueurs ont déjà connu. Échouant pour la énième fois au même endroit du même niveau du même jeu – un Mega Man, disons, ou peut-être une maison hantée de Super Mario World – nous voilà soudain par un gros doute : et si tout ça était dirigé contre nous ? Et si le jeu n’était pas juste difficile, mais carrément méchant ? Et si le véritable but de l’opération était de nous faire souffrir, avec des niveaux conçus non pas pour nous offrir un défi que l’on puisse relever, mais pour nous piéger ? En règle générale, c’est une fausse impression, une réaction de mauvais perdant n’ayant pas encore percé à jour les secrets du niveau en question (et compris, puis maîtrisé, l’enchaînement de mouvements qui permet d’en triompher). Mais pas dans Trap Adventure 2. Cette fois, le joueur paranoïaque pourrait avoir raison : ce jeu a bien l’air de lui vouloir du mal.
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Au-dessus du vide, trois plateformes nous attendent. On saute, sur la première, la deuxième et, ah non… voilà que des piques apparaissent sous nos pieds
Lancé en 2016 sur l’App Store d’Apple, Trap Adventure 2 était passé relativement inaperçu jusqu’à ce qu’un petit extrait d’une partie posté sur Twitter et largement partagé ne le transforme en un improbable et tardif phénomène internet. Depuis, les vidéos YouTube et les articles de presse se multiplient. Trap Adventure 2 fascine. Et il y a de quoi. Au départ, le jeu n’a pourtant l’air de presque rien, juste d’un platformer en 2D dérivé de Super Mario Bros comme il en existe des milliers. Au-dessus du vide, trois plateformes nous attendent. On saute, sur la première, la deuxième et, ah non, alors que l’on pensait se poser tranquillement sur la troisième, voilà que des piques apparaissent sous nos pieds. Bon, on va faire autrement. On recommence mais, cette fois, on bondit au-delà de la troisième plateforme pour atterrir plus loin. Eh non, encore une pique…
https://twitter.com/P_MEN876/status/955430679646371840?ref_src=twsrc%5Etfw
La règle étant que ce qui nous arrive est presque toujours imprévisible, et qu’une fois un danger esquivé, un autre lui succède immédiatement
Mais il y a pire : sur la petite vidéo qui a rendu le jeu célèbre, lorsque le joueur tente de prendre la fuite en revenant sur ses pas, la plateforme hérissée de piques le “poursuit”, puis le plafond s’effondre sur lui. Et ce n’est encore que le niveau 2 – le jeu en compte 25 et on a personnellement calé au sixième. La suite sera un festival de pièges qui surgissent au dernier moment et de sols qui se dérobent sous nos pieds, la règle étant que ce qui nous arrive est presque toujours imprévisible, et qu’une fois un danger esquivé, il est fort probable qu’un autre lui succède immédiatement. Et ce ne sont pas les niveaux sous-marins ou les passages en navette spatiale – que l’on n’a personnellement connus qu’en vidéo – qui arrangeront ça.
Sur la boutique en ligne d’Apple, Hiroyoshi Oshiba, le créateur de Trap Adventure 2, ne fait pas mystère de ses intentions. “Attention, cela pourrait bien être le jeu le plus dur, le plus irritant, le plus frustrant de tous les temps, écrit-il. Si vous avez tendance à être souvent exaspéré, je vous conseille de ne pas y jouer. Il va littéralement vous rendre fou. Je vous le PROMETS.” Les joueurs ne sont pas pris en traître, mais ils n’imaginent pas forcément à quel point ces phrases teintées de défi disent vrai. Trap Adventure 2 n’est pas un jeu difficile comme, par exemple, Super Meat Boy, The End is Nigh ou Slime-san (ou encore, dans un autre genre, la saga Dark Souls) qui donnent toujours au joueur toutes les informations dont il a besoin pour en venir à bout.
Tout cela n’aurait-il aucun sens ? Pourquoi continue-t-on ?
Ici, on n’a aucun moyen de deviner ce qui nous attend et l’échec est un préalable à toute réussite, comme dans les die & retry d’antan (comme par exemple Rick Dangerous, l’impitoyable ancêtre d’Uncharted et de Tomb Raider), mais à la puissance mille. Le pire étant peut-être quand, au niveau 5 qui marie plateforme et casse-briques, l’une des boules géantes censées nous ouvrir un passage vers l’épreuve cauchemardesque suivante, se bloque dans une trajectoire circulaire immuable qui ne nous laisse comme option que le suicide virtuel. L’angoisse existentielle est à son comble : tout cela n’aurait-il aucun sens ? Et pourquoi donc continue-t-on à jouer à ça ?
En jouant, on tient simplement notre rôle de personnage burlesque, de Laurel et Hardy ou de Buster Keaton du jeu de plateforme
La réponse est simple, en particulier si l’on garde en tête que c’est la diffusion de vidéos de parties, c’est-à-dire sa transformation en spectacle, qui ont fait le succès de Trap Adventure 2. En jouant, on tient simplement notre rôle d’acteur (ou de personnage) burlesque, de Laurel et Hardy ou de Buster Keaton du jeu de plateforme, avec les piques, la lave, les boules géantes et les murs qui s’écroulent comme héritiers des tartes à la crème, des pianos fous et, tiens, des murs qui s’écroulaient déjà à l’écran au temps du cinéma muet.
Hiroyoshi Oshiba mène la danse. Le game designer est notre metteur en scène aussi cruel que follement imaginatif. Entre lui et nous, c’est un travail d’équipe, et le moins que l’on puisse dire est qu’il ne s’est pas non plus économisé en concevant ces niveaux d’une sophistication ahurissante – et auxquels, pour les derniers au moins, si peu de gens auront l’occasion de jouer vraiment.
Une expérience limite, un test de personnalité, un cadeau précieux
Trap Adventure 2 est une provocation et une blague, un jeu qui fait rire (jaune, certes, assez souvent) et nous laisse incrédule. Ce que l’on éprouve en y jouant n’a pas grand-chose à voir avec la fièvre qui nous gagne face à un niveau particulièrement délicat de Super Meat Boy (où tout ne dépend en réalité que de nous). Il s’agit plutôt ici d’un mélange de rage et d’admiration avec toujours, au-dessus de nous, le spectre du découragement. C’est une expérience limite, un test de personnalité (de résistance, surtout) mais aussi, d’une manière qui peut sembler paradoxale, un cadeau précieux qui nous est fait.
En ces temps où triomphent le Rogue-like et les jeux aux niveaux générés de manière procédurale – dans le registre du platformer, on peut citer Rogue Legacy, Gonner, Spelunky ou encore Catacomb Kids –, Trap Adventure 2 peut aussi être vu comme la revanche du jeu d’auteur, au sens où chaque objet a été placé là où il est par quelqu’un et pour une raison bien précise. L’auteur anticipe nos actions, y répond par avance, nous parle au moyen de ce langage qu’on appelle le level design. Peut-être qu’il nous hait, mais peut-être qu’il nous prend seulement en considération. Peut-être qu’on devrait lui être reconnaissant.
Trap Adventure 2 (Hiroyoshi Oshiba) sur iOS, gratuit (avec une avalanche de publicités et une seule vie pour le joueur) ou 1,09 €
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