Un nouvel art de militer » raconte la contestation des années 2000, en textes et en photos. Sébastien Porte et Cyril Cavalié se penchent sur les collectifs d’activistes qui misent sur l’action directe non violente, préférant la mise en scène spectaculaire aux longs débats attablés.
Dessine moi un militant. Clope au bec et moustache au-dessus, tract à la main, prêt à dégainer. Une tête de prof au Parti socialiste, un look de biker à la CGT. Parfois, le militant de type écologiste ou humanitaire brandit une pétition et demande des sous dans les rues piétonnes d’un centre-ville en te faisant croire qu’il en a pour une minute alors que ça prend des plombes.
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Que nenni, lecteur désabusé. Tu portes en toi les souvenirs d’une génération éteinte. Morne. Le militant nouveau est rigolo, coloré, festif. Quand tu lui appuies sur le nez, il fait pouic. Il se décore avec du faux sang, déguisé en moine tibétain. Il crie « CAC40, CAC40, oui, oui ». Au péril de sa vie, il câline des policiers, plante des fleurs sur le bitume, réenchante le monde.
Sébastien Porte et Cyril Cavalié, respectivement journaliste et photographe indépendants, racontent ce « nouvel art de militer ». Ils ont suivi ces collectifs nés dans les années 2000 : Jeudi noir, la Brigade activiste des clowns, Sauvons les riches, les Déboulonneurs et d’autres. Leur point commun, c’est la « créativité dans l’action ». Ces activistes obéissent à deux principes : l’action directe non violente et la désobéissance civile. Sébastien Porte explique que « beaucoup ont de la sympathie envers les mouvements autonomes, la même critique sociale. Mais ils refusent la violence et la clandestinité. Ils estiment nécessaire de jouer le jeu des médias et des politiques pour faire avancer une cause, même au prix d’une certaine compromission ».
Il faut dire que les « actions » de ces groupes sont calibrées pour les médias, avec un impact visuel très fort. Avec humour ou sens du théâtre, les collectifs attirent l’attention sur des problématiques graves. La manif de droite, par exemple, où des activistes sapés comme Giscard chantent la Marseillaise et les louanges du grand capitalisme. Le Clan du néon éteint les enseignes lumineuses qui défigurent les villes la nuit. Anonymous, qui lutte contre la scientologie, organise des « mini-raids » dans lesquels les militants portent le masque du film V pour Vendetta.
Pour Cyril Cavalié, le terrain de jeu est foisonnant. Bien que pas toujours facile. Les forces de l’ordre n’aiment pas se laisser immortaliser, il l’a déjà appris à ses dépens. Et les militants jouent parfois les difficiles. « Ils ne sont pas tous médiaphiles », explique le photographe. « Les groupes qui connaissent bien les problèmes de fichage, de vidéosurveillance, sont d’autant plus enclins à se méfier. A moi de gagner leur confiance et de me faire oublier, tout en évitant de me laisser enfermer dans une mise en scène. »
Les auteurs dressent une carte précise de la « nouvelle galaxie militante », de la perméabilité des collectifs entre eux avec certains partis politiques de gauche. Ils n’ont pas l’hypocrisie de cacher leur sympathie pour les activistes. Le livre compile d’ailleurs quelques recettes pratiques : comment se comporter en cas d’interpellation, apprendre à faire le « poids mort » ou la « tortue » pour éviter une évacuation trop rapide, où acheter un « TV-B-Gone », sorte de petit porte-clés qui éteint les télévisions dans les lieux publics. Au courant de leurs droits, des limites à ne pas franchir et des moyens de paraître sympathiques, les activistes ne dérapent pas. Un nouvel art de militer nous rappelle d’ailleurs qu’en dépit de leur nom, les Faucheurs volontaires ne possèdent pas de serpette, pour éviter tout risque de coupure, et arrachent le maïs transgénique à la main.
Un nouvel art de militer, happenings, luttes festives et actions directes,
Sébastien Porte et Cyril Cavalié, Editions Alternatives
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