L’ultraprésidence, minée par les affaires et les couacs, est sous le feu des critiques. Celles aussi de son propre camp, inquiet pour les régionales.
Quelque chose s’est cassé en Sarkozie. Des voix, de plus en plus nombreuses, s’élèvent pour critiquer un chef jusqu’alors intouchable. Elles ne viennent pas de la gauche – qui n’en demandait pas tant – mais de l’intérieur même de la majorité. Les critiques publiques les plus féroces provenaient jusqu’alors des députés conservateurs ou villepinistes.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Aujourd’hui, dans les couloirs de l’Assemblée nationale, c’est toute la majorité qui panique et s’interroge sur la stratégie présidentielle. Nicolas Sarkozy avait promis la rupture avec certaines “pratiques de la République”. Il offre le spectacle de ses pires dérives avec la candidature de son fils Jean Sarkozy, 23 ans, à la tête de l’Epad, établissement public qui gère le plus grand centre financier d’Europe. Ses réformes actuelles – taxe carbone, suppression de la taxe professionnelle – sont impopulaires dans son camp. A cinq mois des régionales, la droite s’offre une séquence catastrophique.
L’agenda médiatique n’est plus rythmé par l’agitation présidentielle mais par l’accumulation des bourdes, couacs, erreurs de com et mesures impopulaires. Pour le député UMP François Goulard, villepiniste, “c’est de mauvais augure pour les régionales”. Avant l’été, la droite partait triomphante face à une opposition laminée. A la tête de vingt régions sur vingt-deux – hors Corse et Alsace –, le PS se préparait à une déconvenue. Mais, depuis, les affaires s’accumulent : la taxe carbone que les ménages perçoivent comme une charge, les propos racistes de Brice Hortefeux, le retrait de l’amendement ADN, Sarkozy lui-même qui traite Dominique de Villepin de coupable au journal de 20 heures, le livre de l’ex-femme d’Eric Besson, la cagnotte censée payer les lycéens pour qu’ils acceptent de revenir en classe, Roman Polanski, Frédéric Mitterrand, Jean Sarkozy.
Plus la machine s’emballe, moins les sondages sont bons. Les plus optimistes à droite tablaient sur six, voire sept régions supplémentaires. Les plus prudents quatre. Aujourd’hui, confie François Goulard, “certains disent espérer conserver l’Alsace”. D’autant que la gauche a relevé le nez avec le succès populaire de la votation sur le statut de La Poste et le début de la rénovation du Parti socialiste. Sur le terrain, les sympathisants de droite n’apprécient pas et le font savoir. Le député UMP des Yvelines Pierre Cardo a évoqué le premier l’image déplorable de l’affaire de Jean Sarkozy et l’Epad et de ses retombées électorales. “On entend en circonscription des parents dont les enfants ne trouvent pas de stages…”, a-t-il lancé sous les applaudissements de ses collègues.
Pour le député UMP Hervé Mariton, un des plus virulents, “l’accumulation des affaires et la manière de prendre les décisions à l’Elysée créent une perte de légitimité du pouvoir”. Le député de la Drôme ironise : “Dans une époque où les caisses sont vides, Sarkozy ne peut pas acheter sa respectabilité.” L’écart entre les annonces de reprise économique et les mauvais chiffres de l’emploi – chômage prévu à 10 % fin 2010 – alimente le mécontentement.
Pour François Goulard, le mal qui touche la droite “est la conséquence d’une baisse de la qualité du travail gouvernemental”. Taxe carbone, taxe professionnelle, loi Hadopi ? “Des textes mal préparés.” La suppression de la taxe professionnelle, principale ressource des collectivités locales, suscite la protestation des élus locaux : pour eux, la pérennité de la compensation financière n’est pas assurée. Pour le député du Morbihan, l’ultraprésidence est responsable de “la dégradation du mode de gouvernement. En se privant de Matignon, on se prive d’un rouage indispensable de mise en oeuvre des réformes”. Dans son système ultracentralisé, Sarkozy sollicite et met sous pression les préfets. Echaudés par l’éviction de deux d’entre eux et leur convocation médiatisée par Hortefeux suite aux mauvais chiffres de l’insécurité, ils ont créé un “club” de discussion. Cela n’est jamais arrivé en France.
Plus inquiétant pour le pouvoir, la contestation ne vient pas uniquement de la frange des traditionnels détracteurs. Jean-Luc Warsmann, le président UMP de la commission des lois, a rendu un rapport parlementaire qui demande d’exclure du bouclier fiscal les contributions au remboursement de la dette sociale. C’est un “devoir moral”, dit le rapport. Jusqu’alors, Nicolas Sarkozy s’était refusé à sortir les contributions sociales du bouclier. Pour la première fois, et face à l’ampleur “exceptionnelle” de la dette sociale, c’est l’UMP elle-même qui remet en cause le dogme du bouclier fiscal.
Nicolas Sarkozy semble être devenu son pire ennemi. Sa méthode, sa stratégie, son image, sa politique se retournent contre lui. La mécanique triomphante s’est brisée. L’ouverture, coup de génie politique, avait brouillé les lignes et semé la pagaille à gauche. Voilà que l’ouverture version Mitterrand ressuscite le FN. Marine Le Pen joue le peuple contre les élites et se fait la porte-parole des valeurs traditionnelles de la droite. Les députés UMP les plus conservateurs, qui avaient senti le coup, grognaient depuis quelques semaines déjà contre la “boboïsation” d’un président qui succomberait aux “effets de mode”. Cette polémique fait craindre une remontée du FN aux régionales, notamment en région Paca.
En abattant les barrières entre vie privée et publique, Nicolas Sarkozy voulait incarner la modernité. Cette mise en scène de l’intime s’avère à double tranchant. L’affaire de Sarko junior incarne aujourd’hui l’exact inverse de “la valeur travail”, socle de l’élection de son père. La deuxième partie du mandat de ce dernier sera peut-être, comme la première, frappée du sceau de la rupture, mais cette fois avec son électorat.
{"type":"Banniere-Basse"}