L’acteur campe un flic torturé dans Braquo, et plus zen dans l’inquiétant L’Homme aux cercles bleus.
Les flics à la télé française : la coupe est pleine. L’abus qui est fait de ces personnages est, au minimum, le symptôme du manque d’imagination des chaînes qui croient encore que, pour parler de la société, le filtre (et la pipe) du commissaire serait la porte d’entrée fumeuse. Police district, Engrenages, A cran, Flics, Commissaire Moulin, Navarro, Central nuit, PJ, La Crim’, Une femme d’honneur, Les enquêtes d’Eloïse Rome, Les Bleus, Julie Lescaut, Léa Parker… Les séries françaises ont usé jusqu’à la corde (raide) un genre qu’outre-Atlantique on a su renouveler (The Shield, The Wire…).
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Dans ce paysage saturé, une figure surgit : Eddy Caplan, flic dans un service de PJ en banlieue, héros de l’efficace série d’Olivier Marchal, Braquo. L’incarnation qu’en fait Jean-Hugues Anglade le place au-dessus du lot. Dans cette série, noire comme le charbon, où la conscience malheureuse du flic se noie dans sa mauvaise vie, où les malfrats ressemblent aux policiers, Anglade brille comme un astre mort dans la nuit. Il file, pile, court derrière le mal qu’il prétend vaincre, après lui-même pour se sauver.
Il court, mais avec d’autres flics à ses trousses : l’Inspection générale des services veut le coincer. C’est cette scène primitive qui résume le propos : un flic pourchasse un flic qui pourchasse un malfrat. Tous se tiennent dans un même élan perdu et asphyxiant. Le tableau à la fois réaliste, violent et esthétisé d’un certain quotidien policier trouve dans la sérialité la tension qui manquait aux longs métrages de Marchal. Ici, tous les personnages, y compris les secondaires (Nicolas Duvauchelle, Joseph Malerba, Karole Rocher…) prennent, à la mesure du chaos qui avance, une épaisseur romanesque émouvante. Anglade n’écrase pas son rôle sous des tics de mâle surexcité et lui insuffle la marque d’un animal blessé, dont on devine les cicatrices plus qu’il ne les surexpose.
De L’Homme blessé de Chéreau à Nocturne indien de Corneau, de La Reine Margot de Chéreau (encore) à Villa Amalia de Jacquot, de 37° 2 le matin de Beineix à Nelly et Monsieur Arnaud de Sautet, Anglade a toujours aimé flotter entre calme et furie, douceur et inquiétude. Et dans Braquo il impose un sens de la fusion entre l’animalité d’un corps en transe et la fébrilité d’une âme en perdition. En flic, il est tellement bon qu’il prolonge l’expérience dans le nouveau téléfilm de Josée Dayan, adapté du livre de Fred Vargas par Emmanuel Carrère, L’Homme aux cercles bleus, dans lequel il épouse un registre plus effacé mais aussi plus lumineux. Aux côtés de Charlotte Rampling, Jean-Pierre Léaud et Jacques Spiesser, il reprend le personnage du commissaire Adamsberg, “grassouillet mais gracieux”, qui pourrait être la face claire et apaisée, du Caplan torturé de Braquo. Les flics, lorsqu’Anglade les incarne, sont magnétiques, comme la nuit qui les abrite et les menace.
Braquo (8 x 52 mn), le lundi à 20 h 45 sur Canal+.
L’Homme aux cercles bleus de Josée Dayan, mercredi 28 à 20 h 35 sur France 2.
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