Finie l’exploration au long cours de la planète livre. Vaines polémiques, diktat de l’air du temps et coups éditoriaux forment aujourd’hui l’ordinaire des émissions littéraires. (photo : Café Picouly sur France 5)
La littérature est-elle soluble dans la télévision ? Si la télé française accorde dès son origine, avec Pierre Dumayet et Pierre Desgraupes, une place de choix au livre, la question se repose aujourd’hui avec acuité. Moins parce que le livre se serait absenté de la télé que parce que son mode de traitement y serait reformulé, à l’aune d’une obsession : comment parler des livres pour intéresser le plus grand nombre de téléspectateurs ?
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Si les émissions littéraires semblent fragilisées (sous-exposition, audiences marginales…), c’est surtout parce que les chaînes s’en tiennent à la “jurisprudence Pivot”. Au nom des succès indéniables de son émission Apostrophes (de 1975 à 1990), elles supposent que le débat sur l’actualité littéraire peut faire “événement”, tout en n’y croyant plus vraiment au fond d’elles-mêmes.
A cette posture pleine d’ambiguïté, répond une stratégie éditoriale floue qui tout en disant défendre le livre préfère le sacrifier en détournant l’attention du public vers son versant le plus anecdotique et vite “consommable”. Si les livres ne font plus en réalité événement à la télé, c’est parce que les chaînes ne croient plus à la littérature et qu’elles privilégient les coups d’édition qui tiennent surtout du déballage privé, des règlements de comptes ou du fait divers. Les “vrais” écrivains viennent certes parfois sur les plateaux, mais pour parler à peine quelques minutes, se faire éventuellement humilier par des snipers de service (chez Ruquier), ou se laisser instrumentaliser par des animateurs préférant prendre l’objet livre comme symptôme d’un fait d’actualité qui l’excèderait.
Les nouveaux spécialistes du genre sont Franz-Olivier Giesbert et Daniel Picouly qui s’appuient sur des livres pour parler de l’air du temps, pour mélanger écrivains, humoristes et politiques (de plus en plus présents dans les émissions littéraires), ou encore pour orchestrer des polémiques stériles. C’est la pire dérive de ces émissions depuis quelques années : la propension à vouloir faire exister le livre à partir du seul filtre du spectaculaire. FOG invite Michel Onfray pour l’opposer à son ennemi supposé Alain Finkielkraut, Picouly met face-à-face l’écrivain François Bégaudeau et le critique Pierre Assouline qui le déteste : le téléspectateur devient l’otage d’un spectacle plus proche des jeux du cirque que de Post-scriptum ou de Droit de réponse, animés dans les années 70-80 par Michel Polac : là, les parties de bras de fer avaient au moins du souffle. Mais peu importe la littérature pourvu que coule la polémique dans les veines de l’animateur. Pour exister pleinement à la télé, le livre doit avoir l’air d’un brûlot. Sauf exceptions (La Grande Librairie sur France 5), l’injonction polémiste est devenue la règle.
Fini le temps des conversations au long cours, comme Pierre Dumayet les menait avec autorité dans Lectures pour tous, dont Maria Pourchet et Bernard Faroux exhument de sublimes extraits (Duras, Céline…) dans un documentaire, Des écrivains sur un plateau. En revisitant l’histoire de la littérature à la télé, le film rappelle ce que furent les divers dispositifs des émissions littéraires depuis 1953 : du face-à-face magistral à la visite des écrivains dans leur niche (En toutes lettres chez Roland Barthes, Pivot chez Yourcenar ou Soljenitsyne), des débats à plusieurs en plateau (Apostrophes, Caractères, Campus, Le Bateau livre…) aux discussions avec des lecteurs (Lire, c’est vivre, Bibliothèque de poche…), la télé française, souvent inventive, a créé là l’un de ses illustres patrimoines. Désormais, la parole des écrivains, longtemps sanctuarisée, s’efface peu à peu : à défaut de les entendre, de saisir des bribes de phrases, on croise leur visage sur des plateaux qui absorbent leur être plus qu’ils ne cherchent à en dévoiler les secrets.
Les écrivains à la télé :
Vous aurez le dernier mot sur France 2, le vendredi vers 23 h
Café Picouly sur France 5, le vendredi à 21 h 35
La Grande Librairie sur France 5, le jeudi à 20 h 35
Au Field de la nuit sur TF1, le mardi vers 1 h
Des écrivains sur un plateau (documentaire de Maria Pourchet et Bernard Faroux), jeudi 22 octobre sur France 2 à 22 h 55
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