Foin de discussions sereines : à la télévision, il faut que ça clashe pour retenir le zappeur compulsif.
Le même manque s’invite chaque fois dans les débats télévisés. Aussi bien, quelqu’un n’est jamais invité qui pourrait seul être d’accord avec nous. Quelle que soit la teneur du débat, nous sommes tous des experts en puissance et voudrions bien, nous aussi, intervenir. Triste frustration.
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Il vaut donc mieux consentir à écouter plutôt qu’à pester inutilement, la télé, bonne fille, l’a d’ailleurs prévu, les moyens ne manquent plus pour donner son avis, fût-ce dans le silence assourdissant de l’agora moderne (les bien nommés forums, qui s’invitent désormais en direct via SMS, traités à égalité avec le défilé quotidien de ces informations minimales qui saturent l’image des télés d’info continue).
Bien sûr, rien ne vaut les places assises, rien ne vaut les experts autorisés. C’est pourquoi le téléspectateur (chacun a deux métiers, pour actualiser Truffaut : le sien et chroniqueur télé) peut croire au simulacre que celle-ci lui offre, d’une démocratie bien comprise.
Que lui faut-elle pour inventer un tel simulacre ? Du clash, en fait de spectacle citoyen. C’est lui qui fait vendre, rester le zappeur avide de sensations fortes à peu de frais (dont nous sommes, ne pas se mentir). Le clash répond à la recherche de l’accident, de la discontinuité. Au risque pour la télé (c’est sa nature) de substituer un flux à un autre : les clashes se multiplient, s’annulent (sans mémoire immédiate, la télé est à la fois le bocal et son poisson rouge).
Dans cette recherche permanente de ce qui fait saillie, le débat trouve son lieu dans le ring. Il lui faut donc des positions inconciliables. Dans la plupart des cas, un progressiste, un conservateur, la balle au centre, de sorte que le téléspectateur est chaque fois invité à la prendre au rebond pour un smash inutile. C’est que le progressiste n’entend pas le conservateur et inversement. L’humaniste que nous sommes y trouvera son épouvantail (le raciste, l’homophobe, le croyant pauvre naïf, Alain Finkielkraut), le réac sera content de penser contre l’humaniste (toujours bêlant).
La nuance bannie des plateaux, le débat est un leurre, sa raison d’être, hors champ (remarquons que c’est même une spécialité de la télé publique, pourtant ravie de porter ce nom : voir les débats de Soir 3, ceux des JT de France 2 qui prônent le dos-à-dos plutôt que le face-à-face).
Il faut alors chercher du côté des experts. Eux sont seuls, chiffres à l’appui. Leur parole ne saurait être mise en cause (ni leurs graphiques, voyez A François Lenglet), encore moins leur inspiration d’évidence libérale. C’est du concret, dit la télé. Des chiffres, donc. Ceux-là même que les politiques utilisent comme salutaire paravent. De ceux qui noient le poisson rouge. Alors quoi, la télé n’aurait rien à dire ? Au contraire. Très, trop simplement, elle dit ce qu’elle veut bien. En fait de débat télévisé, la guerre de Troie a toujours lieu.
Sébastien Bénédict
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