Ancienne historienne de l’architecture, Agnès Monges se spécialise désormais dans la création de pièces en céramique illustrées. Elle tient sa première exposition intitulée “Les Beaux Jours” à Marseille en ce moment.
Agnès Monges nous attend sur une terrasse du Vieux-Port, lunettes de soleil sur le nez en plein janvier, pour parler poterie – ou plus exactement de céramique. Ancienne historienne de l’architecture, formée à Paris à la prestigieuse école du Louvre, Agnès Monges s’est reconvertie il y a à peine un an dans la céramique. Une passion dont elle a fait son métier, en un tour de potier : “La rencontre avec la terre a été une évidence : je ne pouvais pas faire autre chose.” Tout commence donc avec un loisir créatif qui occupe ses soirées, puis ses nuits, avant qu’elle ne décide d’en construire ses journées : “c’était devenu une nécessité.”
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A 44 ans, de retour dans sa cité phocéenne natale après quelques années à Paris et Nice, la céramiste décide de transformer son cabinet de chercheuse en histoire de l’architecture en atelier. Forte d’un bagage en histoire de l’art riche et d’une volonté personnelle de questionner ce bagage, elle crée des pièces résolument modernes, aussi simples que réfléchies.
Ni complètement artisan, ni complètement artiste, ses céramiques gravées d’illustrations sont faites pour un usage quotidien : oubliez la céramique en mosaïque qui brille sur le perron chez les grands-mères, Agnès Monges présente des objets utilitaires finement gravés d’illustrations de scènes de la vie quotidienne. Une fille en culotte, un homme qui se déshabille, une chaussette qui tombe… Des images banales sur un pot de céramique en terre rouge classique, qui donne un tout franchement pas ordinaire.
Comment décide-t-on de tout plaquer pour devenir céramiste ?
Pendant 15 ans j’ai été historienne de l’architecture, un travail dans l’espace et le temps. La céramique m’a offert une autre temporalité, un temps long car elle demande une approche particulière du temps. La matière, la terre, est une matière extrêmement généreuse : tout le monde peut mettre ses mains dans la terre, bien qu’elle soit extrêmement exigeante à travailler par la suite. J’y suis arrivée par le besoin de faire aussi quelque chose d’ancré dans le réel et la matérialité. J’ai plongé les mains dans la céramique et je n’ai plus pu les enlever. Ça a été comme une évidence. J’ai eu cette envie, cette nécessité et ça m’a tout de suite happée. J’ai pris des cours, je me suis formée, et maintenant je me suis complètement reconvertie.
Vos céramiques sont illustrées. Quelle est votre approche du dessin avec un support aussi particulier que la terre ?
Pour moi, la terre est une surface narrative. Mes scènes de vie sont gravées dans la terre : j’aime l’incision, pas le dessin. J’ai eu envie de dessiner en même temps que j’ai commencé la céramique : c’est la terre qui m’a donnée envie d’inscrire le réel dans la terre – pas par le volume en la sculptant, mais en incisant le dessin. Je n’ai aucune envie d’utiliser un pinceau sur la terre ou sur une feuille : il faut que l’illustration fasse corps avec la terre, la matière.
Quand on fait pénétrer le dessin dans la terre, il y a un lien évident avec cette technique et la broderie. Mes dessins sont simples et simplifiés par goût. La terre est brute et rouge : elle est utilisée pour les objets extérieurs normalement. L’associer avec des dessins intimes qui relèvent de l’intérieur, de la vie personnelle et du corps, c’est une rencontre qui me plait.
Vous avez un trait très simple, presque naïf pour vos illustrations, et vous les gravez toujours sur de la terre rouge. Pourquoi ?
Je veux de la terre rouge car si elle était blanche, la céramique serait comme une feuille de papier en volume. Ce qui m’intéresse c’est que la rugosité et la présence physique de la terre reste très forte et que le dessin lui soit plus léger, qu’il amène ailleurs. La brutalité et la simplicité de cette terre sont en concordance avec ce que je recherche : quelque chose sans vanité, sans orgueil. J’utilisais des couleurs dans mes illustrations au début, mais plus ça va plus je reste dans le blanc et noir. J’ai tendance à simplifier au maximum – ainsi un décalage se crée entre l’objet céramique et la typologie des dessins.
Vos illustrations sur la céramique montrent des scènes de vie : un homme qui enlève sa chemise, une femme qui s’habille… Pourquoi ces représentation “banales” ?
Personnellement je me sers de la céramique comme support de la vie quotidienne et du dessin. Je suis attachée à ce que mes céramiques soient des objets utilitaires, je les conçois pour la vie quotidienne. Dans mes dessins, j’aime arrêter les mouvements de la vie quotidienne, des gens qui marchent, se déshabillent – mais pas dans un but de séduction, plutôt avec humour. Ce qui m’amuse c’est que tout le monde se déshabille deux fois par jour, sans jamais y faire attention : je me focalise sur des instants que l’on ne remarque pas normalement. Hors tout contexte érotique, c’est banal d’enlever ses chaussettes, sa culotte, son pantalon… Ce qui me fait rire ce serait qu’un homme se trouve à enlever sa chemise à un moment où il regarde sa céramique, sur laquelle se trouve une gravure d’un homme qui retire sa chemise.
Vous représentez d’ailleurs beaucoup l’homme dans vos dessins. Est-ce volontaire ?
C’est volontaire et c’est ce qui m’interroge : la représentation artistique de l’homme est complexe, au contraire de la femme dont on a des icônes, des codes de représentations. On sait presque à l’avance quelle courbe faire, et c’est même dangereux parce qu’on l’on irait trop vite vers la sexualisation, l’érotisation. Quand je me suis posée la question : “quel homme vais-je représenter ?” je me suis plongée dans la photographie, dans les magazines… et finalement, je suis tombée sur les mêmes archétypes qu’avec la femme. La femme est en courbes et contrecourbes quand l’homme, lui, est toujours et encore bodybuildé : il a des muscles et les montre. Parfois, la tête du mannequin n’allait même pas avec son corps, trop musclé. Pour mon travail, je voulais au contraire un homme qui corresponde plus à une réalité… Ça m’intéresse définitivement beaucoup plus de travailler sur l’homme que sur la femme. L’homme interroge plus.
D’ailleurs, il y a toujours une réaction des visiteurs de l’exposition à l’Atelier Celadon, face à la représentation de l’homme. Comme un genre de “ça, on l’a pas encore vu !”. L’homme surprend parce qu’il est peu représenté comme objet de désir ou artistique. Et s’il existe, c’est que son corps est meurtri, malmené, torturé ou rajeuni [on évoque les cupidons, ndlr]… mais il est rarement montré dans une simplicité naturelle des gestes du quotidien.
Agnès Monges expose ses travaux jusqu’au 28 février à l’Atelier Celadon, dans le 2e arrondissement de Marseille.
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