Un jeune homme engage une inconnue pour cacher à sa famille son célibat le temps d’un mariage. Une comédie dramatique qui sonde avec acuité les fêlures existentielles.
En 2005, Antony Cordier a sorti un premier long métrage, Douches froides, sur l’aventure érotique troublante de trois adolescents. Un superbe film incarné et sensuel sur le sexe (et le sport) comme sublimation des rapports de classes. Puis il y a eu Happy Few cinq ans plus tard : une romance osée sur deux couples explorateurs de nouvelles utopies amoureuses. Dans les deux cas, on a vu en ce jeune réalisateur une relève du cinéma français, veine Pialat ou Brisseau dans sa représentation puissante des corps et de leurs désirs.
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Il a fallu sept ans à Antony Cordier pour fabriquer son troisième film. Cela pose la question du temps de gestation d’une œuvre, dont on se doute qu’il n’est pas uniquement lié aux aléas de l’inspiration, mais à la difficulté de financer un projet singulier et exigeant après un modeste succès commercial (Happy Few a enregistré 90 000 entrées, moins que son précédent). On ne peut aussi s’empêcher de noter le changement d’imaginaire. Fini les ébats sous la douche et les partouzes dans la farine, Gaspard va au mariage lorgne du côté de la comédie familiale douce-amère en s’adressant d’emblée à un plus large public.
Mais rhabiller ses personnages ne signifie pas cesser de les mettre à nu. Avec toujours autant d’acuité et de grâce, Cordier va se pencher sur les tensions d’une “tribu” dysfonctionnelle pendant quelques jours, autour d’un mariage avorté. L’histoire se passe dans un zoo. Electron libre ayant déserté la propriété familiale, Gaspard (Félix Moati) retrouve les siens qui ont continué de faire vivre le parc animalier pourtant menacé. Une femme lunaire l’accompagne, que le jeune homme a rencontrée dans un train et qu’il fait passer pour sa petite amie (Lætitia Dosch).
Dans un contexte assez décalé, Cordier décline le thème de l’héritage qui sera le fil rouge de sa fable. Qu’accepte-t-on de prendre en charge de ses origines ? Pourquoi fuit-on ? Au sein d’une fratrie, qui sont les sédentaires et les nomades ? Sujet universel, s’il en est, qui va ordonner les rapports entre les personnages, nourrir liens et aversions, bouger les lignes – même si chacun finit toujours par rejoindre son poste sur l’échiquier filial. Dans une famille, il n’est pas aisé de sortir de son rôle ; on vous souffle toujours votre texte au cas où vous auriez la tentation de l’oublier.
Ce ballet d’affects est impeccablement porté par les acteurs. Tous trouvent le parfait équilibre entre naturel et fantaisie, tendresse et cruauté, pour dire les fêlures de chaque destinée. Il y a le père, patron du zoo, un veuf volage (son ex a été dévorée par un lion) qui prend des bains de sangsues pour soigner son eczéma (le gargantuesque belge Johan Heldenbergh) ; sa fiancée, une vétérinaire championne du fist médical (Marina Foïs) ; le fils bosseur, bon gestionnaire qui n’en pense pas moins (Guillaume Gouix) et, pour finir, le plus beau personnage : une jeune fille persuadée de sa double nature humaine et animale, qui se trimballe sous une peau d’ours, mange du miel et des racines, dort dans les arbres.
Christa Theret – ex-ado star de LOL, un peu vite oubliée – donne une force énigmatique et lumineuse à cette héroïne bloquée dans l’enfance, fusionnée à ses origines (au point de s’être fondue à son bestiaire), à un frère dont elle est ouvertement amoureuse – on comprend alors mieux la fonction de la fausse “escort”.
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La jeune fille est une héritière de Peau d’Ane, dans un conte revisité, voire inversé : la peau d’ours est ici une référence à l’enfance, aux jeux jadis partagés, faite pour attirer et digérer son autre (le frère) dans un seul corps animal. Accolé à une forêt épaisse, le zoo d’Antony Cordier est une version domestiquée des pulsions et de l’inconscient. Gaspard va au mariage se tient adroitement à la lisière entre ces deux espaces, entre comédie réaliste et enchantement.
Gaspard va au mariage d’Antony Cordier (Fr., 1 h 43, 2017)
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