Relecture critique du triomphe éclatant de l’oeuvre au noir du peintre nonagénaire, à l’occasion de sa rétrospective au Centre Pompidou.
C’est un concert d’éloges, d’hommages vibrants, de pleines pages dans tous les journaux et magazines, qui accompagne l’exposition du peintre Pierre Soulages, 90 ans, au sixième étage et comme au septième ciel du Centre Pompidou. A l’unisson, la presse et le public consacrent cet homme en noir comme le dernier grand peintre français vivant. On se demande ce qui dans cette oeuvre abstraite, dans ces soixante ans passés à s’aventurer dans le noir de la toile, fait à ce point consensus ?
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
On est donc allés y regarder de plus près. Il y a d’abord le principe du peintre selon lequel la couleur noire, scintillante, contient de la lumière. C’est l’idée, émise en 1979, de “l’Outrenoir”, formule pompeuse qui fleure à la fois l’exotisme désuet de l’outre-mer et l’emphase romantique d’une voix venue d’outre-tombe. Surtout, quand Soulages prétend qu’il aime le noir pour sa radicalité, que la couleur noire ne transige pas, en réalité une grande partie de son oeuvre s’attache à défaire cette radicalité, à composer avec le noir en y trouvant de la blancheur et de la lumière.
Autant dire que le noir de Soulages est faussement radical, sans noirceur, ou alors c’est un radical-centre – et l’on comprend mieux dès lors pourquoi il est le peintre préféré du président Chirac. Une grande oeuvre exposée à Beaubourg date précisément du 14 mai 1968 : exécutée dans son atelier du Quartier latin situé place Maubert et donc au beau milieu de l’agitation, la toile signale un retrait constant hors de l’histoire, une manière de s’abstraire de ce qui se joue alors dans la société civile. Radical, mais pas au point de descendre dans la rue, il préfère se réfugier dans la peinture comme de Gaulle à Baden- Baden.
Ainsi, Pierre Soulages nourrit la nostalgie d’une France gaulliste, qui tient tête aux Etats-Unis et à la chienlit. On se glorifie qu’il ait été reconnu en Allemagne et aux Etats-Unis dès les années 50 et 60, avec en effet sa période la plus intense, moment majeur de sa rétrospective à Beaubourg. C’est à ce titre qu’il est un monument national : Soulages représente le dernier peintre de la grandeur perdue de la France, dont l’oeuvre au noir serait tout à la fois l’ultime éclat et le deuil déjà entamé.
Mais en 1967, l’année où Pierre Soulages expose au musée d’Art moderne, on assiste aux premières manifestations durement contestataires du collectif BMPT (Daniel Buren, Olivier Mosset, Michel Parmentier et Niele Toroni). Dès lors, sa peinture devient le décor idéal du pouvoir et du design feutré des salons officiels de l’Elysée et des boutiques Ligne Roset. “L’idéal, plaisantait Soulages il y a peu dans Libération, aurait été d’accrocher au Georges, le restaurant au sommet de Beaubourg, pour profiter de la lumière naturelle.”
On ne saurait mieux dire : ses tableaux ont le pouvoir de se fondre dans le décorum. Sans un bruit, sans fracas, loin des ténèbres et de l’obscurité, ils brillent sous les ors de la République, sans faire d’ombre à personne. Ou presque : l’exposition monopolise le dernier étage du Centre Pompidou jusqu’en mars.
Exposition Soulages au Centre Pompidou, jusqu’au 8 mars 2010,
{"type":"Banniere-Basse"}