Mort à près de 101 ans vendredi 30 octobre, Claude Lévi-Strauss laisse derrière lui une œuvre décisive dans l’histoire des sciences humaines.
Mort à près de 101 ans vendredi 30 octobre, Claude Lévi-Strauss laisse derrière lui une œuvre décisive dans l’histoire des sciences humaines. Il fut la figure tutélaire du structuralisme, et dans le sillage de Marcel Mauss, il renouvela radicalement l’ethnologie française, parallèlement à la tradition britannique (Malinowski, Radcliffe-Brown, Evans-Pritchard) et américaine (Clifford Geertz, Ruth Benedict, Margaret Mead).
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Mais son empreinte se mesure au-delà de ce seul impact scientifique, dont tous ses héritiers, de Maurice Godelier à Françoise Héritier, soulignaient la grandeur à l’annonce de sa disparition. L’écho qu’elle provoque souligne aussi sa notoriété quasi populaire, incarnée par le succès gigantesque de l’un de ses livres qu’il n’aimait pourtant qu’à moitié, Tristes Tropiques (1955). Peu d’intellectuels de la seconde moitié du 20ème siècle, à part Sartre et Foucault, ont eu droit à cette reconnaissance d’un public élargi et non averti des structures élémentaires de la parenté et des mythes primitifs.
Parce que ses voyages, qu’il détestait (« je hais les voyages et les explorateurs » ouvre ironiquement Tristes Tropiques) ont touché des lecteurs, parce que ses réflexions sur la culture, la civilisation, les mythes, l’altérité, la rencontre… ne cessent de traverser tous les débats contemporains, son œuvre est en prise permanente avec notre époque. Tous ses livres font écho aux fractures et aux enjeux sociaux actuels. Avec Lévi-Strauss, beaucoup ont compris qu’une culture n’est jamais supérieure à une autre, que les cultures dites primitives cachent une rationalité aussi élaborée que les cultures dites civilisées…On aurait été bien curieux de connaître son point de vue sur la manière dont le gouvernement actuel orchestre par exemple le débat sur l’identité nationale…
Mais, en dépit de l’éclairage nouveau et crucial qu’il ne cessa d’offrir sur le monde, il est vrai que Claude Lévi-Strauss préféra la position du retrait au sein de l’espace public. Cette discrétion, ce refus de prendre part aux polémiques qui agitent l’espace politique, ce « regard éloigné », pour rependre le titre de l’un de ses livres, furent aussi une marque distinctive de l’intellectuel. Eloigné de son propre pays pour mieux s’intéresser aux autres, mais tout autant éloigné au sein de son pays, comme si l’effet de proximité l’empêchait de se pencher dessus… Alors que la société française a toujours aimé, de Camus à Sartre, de Foucault à Bourdieu…, les « enragés » du débat public, Lévi-Strauss s’en est toujours préservé, non sans assumer parfois une pose légèrement conservatrice (rejet de mai 68, de l’art contemporain…).
Académicien, il a toujours avoué son goût pour les rites et les rituels, y compris désuets, au nom de son attachement à ce qui structure un groupe social. C’est lors d’un séjour au Brésil à la fin des années 30, alors qu’il y enseignait la sociologie, qu’il commença à se préoccuper de cette question du lien. Fasciné dans sa jeunesse par le paysage sauvage de ses Cévennes familiales, c’est au sein des tribus amérindiennes qu’il inventa son système de pensée, porté par une interrogation permanente : quelles sont les conditions minimales à partir desquelles on peut dire qu’une société humaine existe ?
Au contact des Nambikwara, il fait l’expérience de l’altérité radicale, réintègre l’observateur dans l’objet de son observation, en cherchant à définir les lois d’organisation sociales. C’est là que naissent les fondements de sa pensée structurale : une pensée qui épousa « la pensée sauvage », titre de l’un ses ouvrages fondateurs. Que toute son œuvre déploiera patiemment depuis Les structures élémentaires de la parenté (1949) jusqu’aux quatre volumes de Mythologiques, le cru et le cuit, du miel aux cendres, l’origine des manières de table, l’homme nu (1964-71), La potière jalouse (1985) ou l’Histoire du lynx (1991)… Ne serait-ce que par le filtre de ses titres, l’œuvre de Lévi-Strauss, entrée l’an dernier à la Pléiade, est déjà un chef d’œuvre…
5 œuvres clé :
Tristes tropiques (1955)
Anthropologie structurale (1958)
La pensée sauvage (1962)
Le regard éloigné (1983)
Regarder, écouter, lire (1993)
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